Par Sylvain Bessonneau
1) Introduction
Jean-Marc Jancovici est ingénieur polytechnicien, président du think tank The Shift Project, associé fondateur de Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique.
Il est connu pour son travail de sensibilisation et de vulgarisation sur les thèmes de l’énergie et du climat.
Dans un cours de 20 heures donné à l’école des Mines Paris Tech, il donne les éléments clés et les ordres de grandeur à retenir permettant la compréhension du monde complexe de l’énergie. Il traite de façon macroscopique les différentes problématiques/thématiques liées à l’énergie :
- La relation entre consommation énergétique et confort/mode de vie
- La relation entre l’énergie et l’économie (entre CO2 et PIB)
- Le caractère fini des ressources fossiles et les conséquences qui en découlent
- Le changement climatique
- Les différents modes de production d’énergie (les énergies renouvelables, l’énergie nucléaire, les énergies fossiles)
- L’efficacité énergétique
- L’impact de la démographie sur la consommation énergétique
- Etc.
Ce document a pour objectif de résumer le raisonnement de Jean-Marc Jancovici développé dans son cours. Pour approfondir certaines problématiques, je vous encourage à voir son cours qui détaille chaque sujet avec une grande quantité d’informations sourcées.
Le document est articulé de sorte à répondre aux questionnements suivants :
- Qu’est-ce que l’énergie et pourquoi est-elle si importante ?
- Quels sont les problèmes majeurs auxquels nous serons confrontés au 21ème siècle qui sont la conséquence de la consommation énergétique croissante dans le monde ?
- Comment traiter ces problèmes ?
2) Introduction
2.1) Energie = confort
Evolution de la consommation d’énergie par personne depuis 1860 :
Sur ce graphique, on peut faire plusieurs remarques :
- En 1860, l’énergie utilisée en majorité était le bois. L’exploitation du charbon avait également commencé. A cette époque, JMJ rappelle que le système était 100 % ENR (énergies renouvelables) avec aucun problème de changement climatique et peu de problèmes de ressources (à certains endroits, la ressource en bois était surexploitée).
- Les hommes consommaient 4 fois moins d’énergie par personne qu’aujourd’hui. Ce chiffre de 4 fois moins peut paraître faible mais il ne faut pas oublier que la population a été multipliée par 10 en 2 siècles et que la plupart des systèmes ont une efficacité bien supérieure aux systèmes de 1860. Donc ce facteur 4 n’est pas révélateur de l’amélioration du confort de vie du citoyen d’aujourd’hui.
L’apparition des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) a modifié entièrement le mode de vie des hommes. Depuis 1860, la consommation énergétique par personne n’a cessé de croître. Grâce à cette augmentation, le confort de vie des hommes s’est accru fortement. Auparavant, la majorité de la population travaillait dans le secteur de l’agriculture. L’apparition des énergies fossiles abondantes et donc des machines a permis d’augmenter les rendements et les surfaces cultivées par agriculteur. Cela a poussé les Hommes à travailler dans le secteur des services, de l’industrie et du bâtiment. L’énergie abondante a permis l’apparition de vacances, de congés, de loisirs car les Hommes n’avaient plus besoin de travailler en permanence pour satisfaire leurs besoins primaires. Globalement, c’est cette énergie abondante qui a permis de multiplier la population par 10 en 200 ans.
2.2) L’économie pilotée par la consommation énergétique
JMJ montre (et c’est la base de son raisonnement) que le PIB/habitant est directement proportionnel à la consommation énergétique/habitant. Il explique que le PIB dépend de la consommation énergétique et non le contraire car le PIB représente l’activité et cette activité dépend de la quantité de flux physiques. Pour augmenter les flux physiques, il faut augmenter la consommation énergétique. Pour résumer, ce qui déclenche tout le processus, c’est le particulier qui a un besoin. Plus il a de besoin, plus la consommation énergétique nécessaire pour satisfaire son besoin est importante, plus il y a de flux physiques, plus il y a d’activité, plus il y a de PIB.
Augmentation des besoins du particulier >>> Augmentation de la consommation énergétique pour satisfaire ses besoins >>> Augmentation des flux physiques >>> Augmentation de l’activité à >>> Augmentation du PIB.
Le graphique ci-dessous vient à l’appui de ce raisonnement :
On remarque que le PIB en dollars constants augmente linéairement avec la consommation d’énergie.
2.3) Economie : la croissance c’est fantastique
L’économie telle qu’elle a été créée ne prend pas en compte les ressources finies de la Terre. C’est pourquoi le système actuel est basé sur une croissance infinie du PIB à hauteur de 2-3% par an. Jusqu’en 1975 cette croissance a bien eu lieu car la consommation énergétique (hors bois) a augmenté de 2.5%/an depuis 1850 comme le montre le graphique suivant. C’était possible grâce à l’énergie disponible de façon abondante.
Evolution de la consommation énergétique en kWh/personne depuis 1860 :
2.4) Premiers signes du caractère fini des ressources
Le graphique précédent montre également que l’augmentation de l’approvisionnement énergétique par personne a été réduite à partir de 1970.
La question des ressources a commencé à se poser avec le premier choc pétrolier (1973). Ce choc pétrolier est en partie la conséquence du pic de pétrole conventionnel qui a été atteint par les Etats-Unis en 1971 qui représentait 20% de la production de pétrole à ce moment (Source : BP Energy Charting tool). C’est le premier signal de la limite des ressources en matières premières.
De 1975 à 2000, la consommation énergétique par personne a stagné. La croissance/personne aurait dû stagner aussi puisque le PIB dépend directement de la consommation énergétique. Mais, pour les économistes, un monde sans croissance n’existe pas, il est trop fragile. Ils ont donc crée une croissance virtuelle que l’on appelle autrement « la dette ». Il faut avoir en tête qu’ici on parle de consommation énergétique par personne. Or, à cette époque, le taux d’accroissement naturel était important. Cela permettait, à consommation par personne constante, d’augmenter la consommation en valeur absolue et donc d’augmenter la croissance.
2.5) Emploi / chômage
Ce premier choc pétrolier est également à l’origine de l’apparition du chômage.
Tout d’abord il faut comprendre que la quantité de travail est directement proportionnelle aux besoins énergétiques donc à l’approvisionnement énergétique par personne. Tant que l’approvisionnement énergétique augmente plus vite que le parc de machines et l’efficacité des procédés, il y a du travail pour tout le monde. Pendant les 30 glorieuses, il y a très peu de chômeurs car le parc de machines et l’efficacité des procédés augmentent moins vite que l’approvisionnement énergétique par personne qui a explosé à cette époque.
Le choc pétrolier va inverser ce rapport : à ce moment, la taille des machines augmente toujours, ce qui améliore la productivité par emploi, mais l’approvisionnement énergétique par personne stagne voire décroit quelque peu, ce qui diminue le besoin énergétique soit la quantité de travail. La productivité par emploi augmente et la quantité de travail diminue. C’est ce qui explique l’apparition de chômeurs. Face à ce problème, 2 réponses sont possibles, soit on accepte qu’il y ait plus de chômeurs (France), soit on se sépare le travail et on accepte que le travail soit moins bien payé avec l’apparition d’emplois précaires (Allemagne, Angleterre, modèles libéraux).
2.6) Symptômes actuels de la raréfaction des ressources
L’apparition de la dette et du chômage sont les 2 premières conséquences de la limite des ressources. Le problème, c’est que ce ne sont pas les dernières car plus on avance, plus le stock de ressources en matières premières s’épuise.
En Europe, on voit déjà les premiers symptômes de la raréfaction des ressources : la consommation énergétique par personne baisse depuis 2005. C’est pourquoi la croissance est à un niveau faible malgré la création de la dette qui compense cette baisse. Cette diminution de la consommation par personne se traduit par l’augmentation de la pauvreté, des emplois précaires, du chômage, des dettes de plus en plus grandes pour les états européens.
La consommation énergétique mondiale par personne stagne depuis 2005. En valeur absolue, cette consommation énergétique augmente car la population augmente.
Ce qui maintient l’approvisionnement énergétique croissant, c’est le pétrole de schiste américain en forte hausse depuis 2010. Le pic de pétrole conventionnel a été atteint en 2007. (Pour plus d’informations, lire chapitre 3).
2.7) Conclusion du chapitre 2
Pour résumer, l’amélioration du confort de vie depuis 2 siècles et l’augmentation de la population qui atteint aujourd’hui presque 8 milliards (x10 en 2 siècles) sont les conséquences de la croissance. Cette croissance a été possible grâce à l’énergie abondante. Cette énergie a montré des premiers signes de raréfaction qui ont eu de grands impacts sur l’économie mondiale. Un tel mode de vie n’est pas durable.
Le chapitre suivant explique notre niveau de dépendance aux énergies fossiles et détaille l’évolution des stocks à laquelle on peut s’attendre dans les années à venir.
3) Les énergies fossiles
3.1) La dépendance aux énergies fossiles (même en France)
Nous avons vu au chapitre 2 que le PIB donc la croissance était directement dépendante de la consommation énergétique.
D’après le graphique ci-dessus, cette consommation énergétique dans le monde provient pour plus de 80% des énergies fossiles.
Même en France, un pays où l’électricité est pourtant décarbonée grâce au nucléaire, les énergies fossiles sont prépondérantes dans le bilan (pétrole dans le transport et l’agriculture et gaz dans le bâtiment et l’industrie).
3.2) Le pétrole, l’énergie de la mondialisation
Dans l’approvisionnement énergétique mondial, on s’intéressera plus à l’évolution du pétrole car le pétrole est l’énergie de la mondialisation :
- Le pétrole, c’est 32% des consommations d’énergie dans le monde, le gaz 22% et le charbon 27%
- Le pétrole est facilement transportable, c’est pour cette raison que 60% du pétrole consommé traverse au moins une frontière.
- Pour transporter le gaz, c’est plus difficile, il faut le liquéfier. Seulement 30% traverse au moins une frontière.
- Le charbon est une énergie domestique car moins dense énergétiquement donc son transport est moins rentable, seulement 10 % du charbon consommé traverse au moins une frontière.
On comprend facilement qu’excepté les pays qui ont des réserves de gaz et surtout de charbon, les autres pays sont dépendants du pétrole. Le secteur le plus dépendant du pétrole est le secteur des transports et sans transport, on peut difficilement envisager un monde mondialisé.
Ci-dessous, on trouve un graphique montrant que seulement 10 pays dans le monde ont la majorité des réserves mondiales de charbon :
Pour rappel, l’économie actuelle est basée sur la croissance. Cette croissance dépend de la consommation énergétique mondiale. La consommation énergétique mondiale est dépendante du pétrole. Donc, la croissance est dépendante du pétrole.
Comme on l’a montré dans le chapitre 2, la raréfaction du pétrole peut avoir une influence majeure sur l’économie mondiale.
3.3) Mais alors, où en sont les réserves de pétrole ?
Il faut savoir qu’il existe 2 types de pétrole : le pétrole conventionnel et le pétrole de schiste. Le pétrole conventionnel est le pétrole qui se trouve à moins de 500 m de profondeur. Le pétrole de schiste se trouve à plus de 500 m de profondeur. Il est bloqué par des couches imperméables qui l’empêchent de remonter. Pour récupérer ce pétrole, il faut fracturer la roche mère. C’est un procédé plus complexe et plus coûteux.
Le pic de pétrole conventionnel a été atteint en 2008 d’après l’Agence Internationale de l’Energie (Source : EIA World Energy Outlook 2018). La production de pétrole conventionnel a depuis décru de 2.5 millions de barils produits/jour. Cela représente une chute de 2.5% de la production annuelle de barils de pétrole car, aujourd’hui, le nombre de barils produits/jour atteint 100 millions. En ce qui concerne le pétrole conventionnel, on a bien eu une évolution en pic qui est désormais décroissante. Malgré des investissements toujours plus importants pour trouver de nouveaux gisements, le nombre de découvertes diminue. JMJ compare la chasse au pétrole à la chasse aux œufs de Pâques : au début on trouve les plus gros et les moins bien planqués et à la fin on galère pour trouver des petits.
Cependant, malgré cette baisse de production de pétrole conventionnel depuis 2007, la production mondiale de pétrole est encore en hausse. C’est « grâce » au pétrole de schiste américain qui a explosé depuis 2010. Le pétrole de schiste pose néanmoins question chez les spécialistes pour plusieurs raisons :
- Depuis 2012, les investisseurs perdent de l’argent dans les projets de pétrole de schiste. Certains économistes parlent d’une bulle financière autour du pétrole de schiste car les investisseurs investissent de plus en plus mais ne récupèrent toujours pas les bénéfices. Pour récupérer leurs bénéfices, ils doivent investir encore plus. Cela est dû à la spécificité du pétrole de schiste qui nécessite de faire de nouveaux forages continuellement.
- Les réserves de pétrole de schiste ne sont pas inépuisables. 30% du pétrole américain toutes catégories confondues provient du bassin permien. Les réserves de ce bassin sont estimées à 8 milliards de barils. Au rythme actuel de consommation, ces réserves seront épuisées dans 6 ans. D’un point de vue général, au rythme de consommation actuel, les réserves de pétrole de schiste américain seraient épuisées en 2027. (Source : article « Pétrole de schiste : Y a-t-il un marché pérenne » de Benjamin Louvet)
L’AIE a annoncé dans son rapport de 2018 que pour conserver une production croissante répondant aux besoins du marché, il faudrait que le pétrole de schiste triple sa production d’ici (2019) à 2025. L’AIE indique qu’il est peu probable que le pétrole de schiste y arrive seul.
3.4) Conclusion du chapitre 3
La croissance dépend du pétrole. L’augmentation actuelle de la production de pétrole est uniquement due au pétrole de schiste américain. La capacité du pétrole de schiste à compenser la réduction de pétrole conventionnel semble impossible sur le moyen terme. Il est donc très probable que le pic de pétrole soit atteint lors de la prochaine décennie. Le pétrole étant l’énergie de la mondialisation par ses caractéristiques uniques, cela impliquerait une contraction de l’économie lors de la prochaine décennie.
4) Le changement climatique
Au chapitre précédent, nous avons vu que la consommation énergétique croissante a eu des effets importants sur les stocks d’énergies fossiles. Cette consommation énergétique croissante a également conduit à une augmentation de la concentration des différents gaz à effet de serre notamment le CO2 qui intensifie le phénomène d’effet de serre et perturbe les cycles naturels du climat.
4.1) Effet de serre
L’effet de serre est un phénomène naturel réalisé par certains gaz dans l’atmosphère. Tout d’abord, les rayons du soleil viennent frapper la surface de la Terre (c’est du rayonnement infrarouge lointain). Les sols et les océans absorbent ce rayonnement et le réémettent pour partie dans l’atmosphère sous forme de rayonnement infrarouge proche. Les gaz à effet de serre situés dans l’atmosphère absorbent ce rayonnement infrarouge proche et le réémettent dans toutes les directions y compris dans la direction de la Terre. Ce phénomène crée un réchauffement de la température. Le phénomène d’effet de serre est tout à fait naturel. Sans lui, la température moyenne sur Terre serait de -18°C. Ce qui pose problème, c’est l’effet de serre supplémentaire induit par les gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère par les activités de l’homme. Cet effet de serre d’origine anthropique n’était pas vraiment prévu dans « l’algorithme de la Terre ».
Cette augmentation d’effet de serre déséquilibre les cycles naturels et a de multiples conséquences : augmentation de la température atmosphérique, acidification des océans, fonte des glaciers, dilatation des océans, sécheresse, extinction de nombreuses espèces comme les coraux qui ne peuvent s’adapter à ces modifications, etc.
Pour le moment, les conséquences sur l’homme et son mode de vie sont peu visibles globalement même si certaines tensions commencent à apparaître. Les effets des sécheresses successives se font de plus en plus ressentir, certaines îles sont menacées par la montée des eaux, etc. Les conséquences restent surmontables mais le plus dur est à venir et pour plusieurs raisons :
- Les émissions mondiales de GES n’ont jamais été aussi élevées (Source : BP Energy Charting tool)
- Les GES restent longtemps dans l’atmosphère. Par exemple, si on arrêtait d’émettre du CO2 dès demain, dans 100 ans, il resterait 40% de CO2 d’origine anthropique et 10% dans 10000 ans. (Source : 5ème rapport GIEC)
- Les politiques en matière de réductions des émissions de gaz à effet de serre ne sont pas à la hauteur des enjeux
4.2) Un indicateur : la température moyenne du globe
Pour évaluer l’augmentation de l’effet de serre d’origine anthropique, un indicateur a été retenu : la différence de température moyenne à la surface du globe entre la température moyenne aujourd’hui et la température moyenne entre 1850 et 1900 appelée température moyenne de l’ère préindustrielle. Cet indicateur est bien entendu imparfait et arbitraire mais il a le mérite de permettre de fixer des objectifs clairs et d’évaluer de façon simple et factuelle l’ampleur du changement climatique d’origine anthropique.
Les objectifs fixés par le GIEC (Groupe International d’experts de l’Evolution du Climat) sont clairs. Il faut limiter le réchauffement climatique à +2°C en 2050 puis en 2100 par rapport aux températures de l’ère préindustrielle.
Cependant, durant les cycles naturels de glaciation (période de 100 000 ans), la température moyenne varie de +/-5°C alors est-ce si grave si on fait +2°C ? Est-ce vraiment une augmentation de température sans précédent ?
4.3) Une augmentation de température trop rapide
Dans les 800 000 dernières années, l’augmentation de température la plus rapide a été de +1°C en 1000 ans (Source : Conférence Valérie Masson Delmotte, membre du 1er groupe de travail pour la rédaction du 5ème rapport du GIEC). En 2019, la température est déjà 1°C au-dessus de la température moyenne de l’ère préindustrielle (température moyenne entre 1850 et 1900). Si on parvient à limiter le réchauffement climatique à +2°C en 2050 et 2100, cela équivaudrait à une augmentation de 2°C en 2 siècles soit une augmentation de température 10 fois plus rapide que l’augmentation de température la plus rapide observée dans le dernier million d’année.
Voilà où est le problème. Cette évolution de température est tellement rapide que la majorité des écosystèmes et des cycles naturels ne pourront pas s’adapter.
Le graphique suivant illustre cet argument. Il montre l’évolution de la température depuis 1000 ans pour l’hémisphère nord.
Observations :
- L‘augmentation de température sur les 100 dernières années est très rapide et marquée.
- De 1000 à 1800, la température n’a cessé d’osciller de +/- 0.5°C. La tendance était même plutôt à une légère diminution de la température.
4.4) +2°C, est-ce vraiment différent ?
L’indicateur de température moyenne de l’atmosphère est un peu trompeur car une augmentation de 2°C ne semble pas être un changement révolutionnaire nécessitant tant de sacrifices. Cependant, la Terre est un immense écosystème dont l’équilibre est fragile. On ne sait pas à quoi peut ressembler un monde à +2°C, surtout avec une augmentation aussi rapide. Par contre, on sait à quoi ressemble un monde à -5°C par rapport à aujourd’hui avec une évolution lente de température :
Il est évident qu’un monde avec +5°C avec une augmentation rapide de la température, c’est la guerre mondiale avec des crises sanitaires, sociales, alimentaires, etc…
Liste non exhaustive des conséquences d’un réchauffement de +2 °C (Source : 5ème rapport GIEC):
- Acidification des océans >>> destruction de la biodiversité marine
- Dilatation des océans >>> montée des eaux
- Fonte des glaciers et des calottes polaires >>> montée des eaux et fonte du permafrost qui augmentera à son tour la quantité de gaz à effet de serre (méthane notamment)
- Perturbation des précipitations >>> modification des types de climat >>> destruction de la faune et la flore qui ont des capacités d’adaptation et de réaction faibles (arbres par exemple)
- Sécheresses >>> augmentation du nombre de situation de stress hydrique >>> chute des rendements. Alors même que l’agriculture est pétrolo-dépendante, elle en aura encore plus besoin pour s’adapter à ces changements et assurer l’irrigation notamment.
- Augmentation du nombre de jours chauds >>> Perturbation de la croissance des végétaux car la végétation arrête la photosynthèse pendant les périodes de canicule.
- Diminution de la quantité d’eau potable provenant des glaciers
Les scientifiques mettent tout en œuvre pour que l’augmentation de température soit « limitée à 1.5°C et ne dépasse pas les 2°C ». Au-delà de 2°C, cela pourrait déclencher des rétroactions positives incontrôlables et difficiles à modéliser. On pourrait atteindre un point de non-retour.
4.5) Limiter le réchauffement d’origine anthropique à +2°C, est-ce atteignable ?
Différents scénarios, différentes conséquences :
Le GIEC a modélisé différents scénarios en fonction des émissions que l’Homme émettra dans les prochaines années. Il y a 4 scénarios : RCP 2.6 ; RCP 4.5 ; RCP 6.0 et RCP 8.5 (Ces chiffres correspondent au forçage radiatif d’origine anthropique exprimé en W/m²).
Sur le graphique suivant, l’évolution de la température moyenne en fonction des différents scénarios d’émissions est présentée :
Sur ce graphique, il faut bien prendre en considération que c’est l’évolution de température par rapport à 1986-2005 et non par rapport à l’ère préindustrielle. Il y a donc un décalage de 0.6°C à ajouter. Sur ce graphique, on voit que le scénario RCP 2.6 permet de limiter le réchauffement à 1.5°C en 2050 avec une stabilisation jusqu’en 2100.
On voit également que le scénario RCP 8.5 conduirait à une augmentation de +2.5°C en 2050 et jusqu’à +4.5°C en 2100.
Le scénario à viser est le scénario RCP2.6. A quelle évolution des émissions de gaz à effet de serre ce scénario correspond ?
Le graphique suivant détaille chaque scénario d’émissions de gaz à effet de serre (GES) :
Le scénario RCP 2.6 correspond à une réduction des émissions de l’ordre de 45% d’ici 2030 et à une division par 3 d’ici 2050. Diviser par 3 les émissions mondiales revient à faire passer ces émissions de 60 milliards de GteqCO2 à 20 milliards de GteqCO2, soit environ 2 teqCO2 pour 9 milliards d’habitants. Aujourd’hui, l’impact carbone d’un français moyen est de 12 teqCO2/an. Il doit donc diviser par 6 ses émissions.
Le scénario RCP 8.5 correspond lui à un scénario où aucun effort sur les émissions est réalisé et où la croissance économique et donc l’augmentation de consommation énergétique est la même qu’aujourd’hui.
Les scénarios RCP 4.5 et 6.0 correspondent à des scénarios où les émissions de gaz à effet de serre à la fin du siècle se sont stabilisées à des valeurs qui sont dans les mêmes ordres de grandeur que les valeurs actuelles.
4.6) Conclusion du chapitre 4
Si d’ici 2050 la population mondiale n’a pas divisé par 3 ses émissions, le réchauffement climatique pourrait être de 2°C à ce moment et s’accroître ensuite. Un réchauffement de plus de 2°C conduirait à des crises mondiales sans précédent de tout type (crise alimentaire, crise migratoire, etc.) qui engendreront certainement des affrontements militaires. A titre d’exemple, l’apparition de Daesh dans le Moyen Orient est une conséquence d’une crise alimentaire suite à une sécheresse dans cette région.
Ce chapitre nous apprend également que le climat est un système avec beaucoup d’inertie. Les changements climatiques ne sont pas spectaculaires à court terme et il est difficile d’imputer les évènements climatiques extrêmes au changement climatique d’origine anthropique. A titre d’illustration de cette inertie, la différence de température en 2050 entre le scénario RCP 2.6 et le scénario RCP 8.5 est « seulement » de 1°C mais elle devient ensuite bien plus importante. En 2050, si la trajectoire d’émissions que nous avons choisie est celle du scénario RCP 8.5, il sera trop tard pour agir. Des crises mondiales apparaîtront et le point de non-retour sera certainement atteint. Le climat mondial évolue selon des cycles lents qui sont difficiles à appréhender par l’Homme. Les efforts qu’il effectue ne sont pas visibles à court terme. C’est l’une des raisons qui explique la difficulté de l’Homme à agir à la hauteur de l’enjeu.
Pour résumer, si aucun effort n’est réalisé sur les émissions de gaz à effet de serre d’un point de vue mondial, à court terme (1-5 ans), le réchauffement climatique ne représente pas un danger imminent mais à moyen terme (10-30 ans) il est probable qu’il soit à l’origine de crises majeures mondiales et à long terme (50-100 ans), il est certain qu’il sera à l’origine de crises majeures mondiales.
5) Diagnostic : Houston, on a 2 problèmes
Le confort de vie d’un humain est directement proportionnel à sa consommation énergétique (en kWh). Dans le monde, la consommation d’énergie provient pour plus de 80 % des énergies fossiles.Or ces énergies se raréfient.
Il sera impossible d’utiliser de façon croissante ni même constante les ressources fossiles pour conserver voire augmenter notre confort de vie moyen.
Ce constat est vrai à l’échelle mondiale mais il est aussi vrai à l’échelle nationale : l’économie étant mondialisé, tout le monde sera impacté tôt ou tard.
- Premier problème : La raréfaction des ressources
D’autre part, l’exploitation massive et croissante des ressources énergétiques fossiles (pétrole, gaz, charbon) est à l’origine de l’augmentation de la concentration des différents gaz à effet de serre notamment le CO2. Cela intensifie le phénomène d’effet de serre et perturbe les cycles naturels du climat. Le changement climatique qui en découle peut avoir des conséquences dramatiques si nous le négligeons et ne réduisons pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.
- Deuxième problème : le changement/réchauffement climatique
Afin de limiter le réchauffement climatique d’origine anthropique à +2°C, il faut diviser par 3 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Cette division passera forcément par la réduction de la consommation d’énergies fossiles. Si on ne change pas notre mode de consommation, nous serons confrontés à des problèmes climatiques majeurs.
Tôt ou tard, nous serons également confrontés à la raréfaction des ressources fossiles et plus précisément la raréfaction du pétrole. A terme, notre consommation en énergie fossile va forcément diminuer que ce soit choisi ou imposé.
Pour la suite, on retiendra un seul objectif : diviser par 3 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.
6) L’équation de Kaya
La quantité d’émissions de GES (exprimée en TeqCO2) dépend de différents facteurs exprimés dans l’équation de Kaya :
Pour analyser comment on peut diviser par 3 ces émissions, on va étudier chaque terme un par un.
6.1) Premier facteur : la population
Il est évident que le nombre d’habitants sur Terre n’est pas un levier majoritaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est néanmoins un facteur sur lequel il est important de travailler. La Terre, ayant des ressources finies, ne peut pas accueillir un nombre infini d’habitants. On observe déjà des difficultés pour nourrir et loger 8 milliards d’humains. Des mesures peuvent être mises en œuvre (éducation des femmes, planification familiale) pour réduire le taux d’accroissement naturel dans les pays en voie de développement notamment. Des politiques étatiques plus agressives pourraient être efficaces comme la politique de l’enfant unique ou la suppression des aides à partir du troisième enfant par exemple. Néanmoins, ce type de politique à l’échelle mondiale est difficile à imaginer pour le moment. Les projections basses prévoient une population de 9 milliards d’habitant à horizon 2050. Il semble difficile d’agir de façon significative sur ce paramètre.
6.2) Deuxième facteur : la production par personne
La production par personne est exprimée en $/habitant. Elle correspond donc au PIB mondial.
L’économie mondiale recherche un taux de croissance annuel de 2%. 2% de croissance pendant 30 ans, ça revient à doubler le PIB en 30 ans donc doubler la consommation énergétique.
Selon les économistes (et les politiciens par la même occasion) ce paramètre est non-négociable, il faut de la croissance.
En admettant une population constante (en ordre de grandeur) et un PIB/pers qui fait x2 en 30 ans, il faut désormais diviser par 6 les émissions en jouant sur les 2 facteurs restants.
6.3) Troisième facteur : l’intensité énergétique de l’économie
L’intensité énergétique peut s’exprimer en kWh/$. Améliorer l’intensité énergétique signifie consommer moins d’énergie tout en conservant le même service. L’intensité énergétique renvoie donc à l’efficacité énergétique.
On peut citer différentes mesures d’efficacité énergétique :
- Isolation des bâtiments
- Amélioration des procédés industriels
- Amélioration de l’efficacité des équipements
Les mesures d’efficacité énergétique correspondent typiquement au travail des ingénieurs.
Alors, les ingénieurs sont-ils efficaces ?
Le graphique suivant montre l’évolution de l’efficacité énergétique en kWh d’énergie primaire/$ constant depuis 1965.
Le graphique montre qu’en 50 ans, l’efficacité énergétique a permis une diminution de 33% du nombre de kWh/$ et en 20 ans, une diminution de seulement 10%.
Il est inimaginable que l’efficacité énergétique permette de diviser les émissions par 2 au minimum en 30 ans. Surtout que plus on améliore l’efficacité énergétique, plus il est difficile d’être encore plus efficace. L’efficacité énergétique aura donc un impact marginal sur les émissions de gaz à effet de serre mondiales.
Remarque personnelle :
L’efficacité énergétique implique souvent un effet pervers appelé le paradoxe de Jevons (effet rebond): si un système est plus efficace d’un point de vue énergétique alors le besoin augmente car les Hommes réagissent en pensant qu’ils peuvent consommer plus.
Exemple de la voiture : l’efficacité énergétique augmente : à poids identique, on a divisé par 2 la consommation des voitures depuis 50 ans. On consomme moins au km donc on a fait des voitures plus grosses et plus lourdes donc la consommation au km n’a pas diminué.
Autre exemple : L’hyperloop. Ce système de train ultrarapide (800 km/h) et peu émissif en carbone (tel qu’il est vendu) qu’Elon Musk cherche à développer pourrait être un exemple d’efficacité énergétique. Mais, avec cette innovation, certaines personnes envisagent par exemple de vivre au Texas et de travailler dans la Silicon Valley (3000 km de distance).
Cela montre que quand un système est plus efficace, la réaction naturelle d’une personne lambda est d’augmenter son besoin.
Ce paradoxe de Jevons a tendance à augmenter le besoin donc augmente le deuxième facteur : la production par personne.
Pour résumer, l’efficacité énergétique ne permettra pas de réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre.
Le quatrième facteur peut-il diviser par 6 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 ?
6.4) Quatrième facteur : la décarbonation de l’énergie
Jouer sur le nombre de CO2/kWh revient à utiliser des sources décarbonées d’énergie. Nous recherchons une énergie qui permettrait de conserver une croissance économique donc une augmentation de la consommation énergétique par personne tout en divisant par 6 les émissions de CO2 dans l’atmosphère.
Pour cela, il convient d’identifier quelles énergies émettent le moins de gaz à effet de serre.
Les valeurs obtenues sur le graphique ci-dessus peuvent être un peu différentes en fonction de la source.
TAC = Turbine A Combustion au fioul lourd.
D’après ces graphiques, il existe plusieurs technologies permettant de décarboner l’énergie dont l’hydroélectricité, l’éolien, le nucléaire et dans une moindre mesure le solaire.
Il convient de rappeler la part du renouvelable et du nucléaire dans le mix énergétique mondial en énergie primaire :
Le graphique suivant présente la répartition de la consommation finale en fonction de la source d’énergie :
Observations :
- En énergie primaire, le nucléaire représente 5% de l’énergie, les renouvelables représentent 14% dont 12% proviennent de l’hydroélectricité et de la biomasse.
- Dans le mix énergétique, seulement 19% de l’énergie est électrique.
On en déduit que décarboner uniquement l’énergie électrique ne permet pas de décarboner l’ensemble de l’énergie produite. La dépendance du secteur des transports pour le pétrole est très importante notamment. Une courte transition (15 ans) de ce secteur vers l’électrique semble difficile mais pas impossible. Néanmoins, cela pourrait poser d’autres problèmes de ressources pour obtenir les nombreux composants présents dans les batteries.
Dans l’hypothèse où le monde en 2050 sera pour grande partie électrique (ce qui implique déjà des efforts conséquents), la décarbonation de l’énergie peut-elle permettre de diviser les émissions de gaz à effet de serre par 6?
Analysons les 2 solutions possibles : les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire.
6.4.1) Les énergies renouvelables
Les énergies renouvelables représentent aujourd’hui 14% de la production d’énergie primaire. 10% sont de la biomasse et 2% sont de l’énergie hydraulique. Les 2% restants correspondent à l’énergie solaire, à l’énergie éolienne et à la géothermie principalement.
L’énergie hydraulique est une énergie dont le potentiel est en grande partie déjà exploité. Le potentiel restant est majoritairement en Asie. Il ne permettra pas une grande production supplémentaire. La biomasse a également un potentiel limité à son stock de bois. Dans certains pays, comme la France, la forêt est en expansion, il y a donc un potentiel de production. Néanmoins, ce potentiel est également limité. De plus, nous avons besoin d’un boisement en expansion pour séquestrer un maximum de carbone.
Ainsi, les seules énergies renouvelables que nous pourrions développer à grande échelle sont le solaire et l’éolien. Elles ont un impact carbone bien inférieur à celui du charbon et du pétrole et pourrait répondre au besoin.
Cependant, ces énergies renouvelables présentent plusieurs inconvénients :
1) Leur potentiel est énorme mais très diffus, ces énergies sont difficiles à capter. Cela a pour conséquence que l’on ne peut pas produire de l’énergie d’origine renouvelable partout. Il faut au minimum du vent et/ou du soleil. Le potentiel de ces énergies n’est pas illimité comme on pourrait le croire même si ce potentiel est tout de même très important. Leur caractère diffus implique des rendements énergétiques faibles n’excédant pas 45% pour l’éolien et 15% pour le photovoltaïque.
2) Ces énergies sont intermittentes or 1 kWh quand on le veut est très différent d’1 kWh quand il y a du vent ou du soleil. Pour illustrer cette intermittence, on trouve ci-dessous un diagramme de la puissance éolienne injectée sur le réseau européen en 2017.
On remarque que malgré une puissance installée de 170 GW, la puissance minimale que l’on peut assurer à tout instant est seulement de 10 GW soit 6% de la puissance installée. Cela montre bien la nécessité d’un système permettant de compenser cette intermittence. JMJ parle de système pilotable et non-pilotable, les énergies solaires et éoliennes étant des systèmes non-pilotables.
2 solutions pour traiter cette intermittence :
- On ajoute un dispositif de stockage. Le type de stockage le plus fréquent est le stockage par batterie. Dans ce cas l’impact carbone de l’énergie s’envole. Pour le solaire, il peut passer de 100 gCO2/kWh à 200 gCO2/kWh.
- On ajoute un dispositif de redondance qui permet d’assurer la production quand ces énergies intermittentes ne fonctionnent pas. Cette solution implique de doubler la puissance installée pour une consommation similaire donc de doubler les coûts de construction également.
3) Elles nécessitent beaucoup de ressources. Sont-elles réellement des énergies renouvelables si le dispositif de capture ne l’est pas ?
4) Elles sont peu efficaces. Le taux de retour énergétique (TRE) du solaire est seulement de 3 (Source : Spain’s Photovoltaic Revolution : The Energy return on Investment, de Prieto et Hall). Cela signifie que pour 1 kWh dépensé, l’énergie récupérée est de 3 kWh. Sur une durée de vie de 25 ans d’un panneau solaire, la production qu’il fournit pendant les 8 premières années permet uniquement de compenser l’énergie qui a été nécessaire pour construire le panneau.Certains spécialistes ont calculé qu’il fallait un TRE supérieur à 10 pour qu’une société complexe puisse se développer.
5) Elles sont chères. Effectivement, si on compare avec le nucléaire, au prix du kW installé, le solaire et l’éolien sont 2 à 3 fois moins cher que le nucléaire. Cependant, il faut prendre en compte tous les critères de production. La puissance installée n’équivaut pas à la production. En considérant uniquement le facteur de charge et la durée de vie, le kWh de solaire et d’éolien est déjà beaucoup plus cher que le kWh nucléaire.
6) Impact carbone supérieur au nucléaire :
- Nucléaire : 15 gCO2/kWh
- Solaire et éolien : 10 à 250 gCO2/kWh : Cela dépend bien évidemment de beaucoup de paramètres. Cet impact carbone variable est surtout dû à l’intermittence des énergies renouvelables qui nécessite soit un système de stockage soit un système de redondance.
Les énergies renouvelables, vraie ou fausse solution ?
On rappelle que l’objectif est de compenser les énergies fossiles dont la consommation doit être quasi-nulle à l’horizon 2050. En considérant que l’on ne peut pas modifier la production à base de biomasse et d’hydroélectricité, les énergies renouvelables restantes correspondent pour le moment à 2% de l’énergie primaire.
Si ces énergies ont un taux de croissance de 10% à l’année, elles représenteraient un total de 35% de la consommation total en énergie primaire et auraient ainsi un impact significatif dans le mix énergétique mondial. Une telle croissance pendant 30 ans n’a jamais existé pour n’importe qu’elle source d’énergie.
En 2018, la puissance installée en solaire et en éolien dans le monde était de 1000 GW (Source : Article de La tribune « 1.000 gigawatts de solaire et d’éolien installés dans le monde ») pour une puissance produite de 2000 TWh (en ordre de grandeur) soit un facteur de charge de 20-25%. Cette puissance de 2000 TWh représente 2% de la production énergétique mondiale. Si on veut passer à 35% de la production énergétique mondiale, il faut multiplier par 17 la puissance produite donc multiplier par 17 la puissance installée. Soit 17000 GW. Le coût d’installation d’une telle puissance est énorme.
Pour illustrer, l’Allemagne a mis 250 milliards d’euros pour installer 100 GW solaire et éolien. Pour installer 16 000 GW supplémentaire, il faudrait 40 000 milliards d’euros soit 60% du PIB mondial annuel. Cette estimation ne comprend pas les dispositifs de stockage ou de redondance qui viendront s’ajouter à ce total.
De plus, les projets de solaire et éolien font face à une forte opposition de la part des locaux. Par exemple, en France, la plupart des habitants sont pour les énergies renouvelables MAIS ne veulent pas une éolienne proche de chez eux pour nuisances visuelles ou sonores. Cela implique des délais longs pour l’installation de ces énergies alors que la transition doit s’effectuer avant 2050. Un projet éolien met 8 ans en moyenne pour se réaliser en France.
On peut difficilement envisager une production énergétique significative provenant du solaire, de l’éolien et de la géothermie dans le mix énergétique mondial d’ici 2050. Elles auront donc un impact minime sur les émissions mondiales futures de gaz à effet de serre. La solution est à trouver ailleurs.
Notre salut viendra-t-il de l’énergie nucléaire ?
6.4.2) Le nucléaire
Le nucléaire représente 5% de l’énergie primaire mondiale et 2-3% de l’énergie finale consommée.
Le nucléaire à de nombreux avantages mais également des inconvénients indéniables.
Ses inconvénients :
- Risque d’accident nucléaire. Le risque d’accident nucléaire existe, l’Histoire nous le rappelle. Des mesures de sécurité drastiques peuvent réduire ce risque mais il ne sera jamais nul.
- Risque de prolifération nucléaire. Il faut savoir que la majorité des pays qui ont développé l’arme nucléaire l’ont fait sans avoir développé l’énergie nucléaire civile avant. Cela montre que l’énergie nucléaire civile n’est pas une condition pour développer l’arme nucléaire. Néanmoins, le développement du nucléaire civil pourrait tout de même favoriser l’apparition d’armes nucléaires. Le risque de prolifération existe, il faut le considérer et mettre en œuvre une politique internationale permettant de lutter contre cette éventuelle prolifération.
- Gestion des déchets nucléaires. Les déchets nucléaires sont catégorisés différemment en fonction de leur taux de radiation. Les déchets nucléaires français de haute activité et à vie longue représentent 3 650 m³ (soit l’équivalent d’un pavé de 30m de long, 30m de large, et 4 m de profondeur). Les autres déchets nucléaires peuvent être stockés dans des conditions moins contraignantes. Une fois de plus, cet inconvénient existe et doit être traité.
- Le nucléaire repose sur l’uranium dont les ressources ne sont pas illimitées. Si l’énergie nucléaire se développe mondialement, les ressources pourraient devenir un problème d’ici la fin du siècle. Les réacteurs de quatrième génération pourraient théoriquement permettre de réutiliser les combustibles et résoudre ce problème de ressources. Néanmoins, le CEA vient d’arrêter le projet ASTRID dont l’objectif était justement le développement de ce réacteur. Cela montre que le nucléaire n’est pas une priorité actuelle en France et que le problème de ressources pour le nucléaire est une sérieuse menace pour le développement de cette filière.
Ses avantages :
- Energie pilotable : On est capable de modifier la puissance d’un réacteur de 80% en 30 minutes. L’énergie nucléaire n’est pas intermittente.
- Energie à fort potentiel de puissance : Un réacteur nucléaire a une puissance de 1 GW (en ordre de grandeur). Une centrale nucléaire peut compter jusqu’à 6 réacteurs. A titre de comparaison, les plus puissantes éoliennes ont une puissance de 8 MW.
- Energie très décarbonée : 15 gCO2/kWh électrique produit.
L’énergie nucléaire est l’énergie dont le potentiel est le plus important. Néanmoins, elle implique des risques de sécurité. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Pour émettre un avis sur la question du nucléaire, il faut mettre en balance le risque nucléaire avec le risque d’effondrement économique si les problèmes de ressources en énergie fossile se confirment rapidement. Il faut également contrebalancer ce risque nucléaire avec le risque climatique si on ne divise pas par 3 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Le risque climatique se traduirait en des crises mondiales sanitaires, économiques, migratoires et militaires.
Le nucléaire, l’énergie de 2050 ?
La puissance nucléaire installée actuelle est de 300 GW. La proportion de nucléaire nécessaire dans le mix final dépend de la contribution du renouvelable. Si on considère une forte contribution, d’après JMJ il faut passer seulement de 300 GW installé à 6000 GW installé. Si on considère une faible contribution du renouvelable, le remplacement des énergies fossiles se ferait entièrement grâce au nucléaire, il faudrait donc une puissance installée de 10000 à 15000 GW soit une multiplication de la capacité nucléaire par 35 à 50.
On a vu précédemment qu’il est très probable que les énergies renouvelables aient un impact minime sur le mix énergétique mondial en 2050. Il faudrait donc opter pour 10 000 à 15 000 GW de nucléaire à l’horizon 2050. Un réacteur nucléaire a une puissance de 1 GW environ (en ordre de grandeur). Il faudrait donc 10 000 à 15000 réacteurs nucléaires.
Est-ce faisable ? Y aura-t-il les capitaux, les compétences, la volonté et les emplacements pour une multiplication par 40 de la puissance nucléaire en 30 ans ?
En terme de capitaux, pour installer 10000 GW, il faut mettre 40 000 Milliards de $ sur la table, soit 60 % du PIB mondial de 2014. On remarque que, pour le même tarif, on est théoriquement capable de remplacer toutes les énergies fossiles par du nucléaire ou on est capable d’augmenter la part du renouvelable de 35% dans le mix énergétique. Il semble assez évident que le premier cas sera plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le principal frein au développement du nucléaire semble plutôt être un frein politique. Les différents partis écologistes qui sont moteurs dans la lutte contre le réchauffement climatique sont majoritairement contre le nucléaire. Les associations telles que Greenpeace et autres sont très virulentes vis-à-vis de cette source d’énergie. A titre d’exemple, en France, la puissance nucléaire représente 75% du mix électrique (18% du mix énergétique). Pourtant, tous les partis proposent de réduire cette part afin de séduire les électeurs écologistes. Les projets nucléaires nécessitant un temps de construction assez important, la conjoncture politique laisse présager qu’une telle hausse de la puissance d’origine nucléaire n’aura pas lieu.
6.4.3) Bilan facteur 4 : une décarbonation de l’énergie de grande ampleur est-elle envisageable d’ici 2050 ?
A grande échelle, une seule technologie semble avoir le potentiel de réduire significativement les émissions de CO2/kWh : le nucléaire. Cependant, les politiques adoptées en faveur du nucléaire sont peu nombreuses. Cela est dû notamment à l’opinion publique et aux partis écologistes peu favorables à son expansion pour des raisons de sécurité et également à l’investissement nécessaire important.
Résultat, depuis 20 ans, la quantité de CO2/kWh n’a pas bougé comme le montre le graphique suivant :
Source : Calculs Jancovici ; données primaires BP Statistical Review et World Bank.
Une politique mondiale pro-nucléaire ne semble pas en marche, il est évident que la division des émissions par 3 (voire par 6) ne viendra pas de la quantité de CO2/kWh.
Il faut donc reprendre l’équation de Kaya et identifier quels facteurs seront affectés.
6.4) Equation de Kaya 2.0 : vive la sobriété
Pour résumer, le progrès technique ne permettra pas de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre. En 2050, il est très probable que nous soyons toujours dépendant des énergies fossiles si celles-ci n’ont pas déjà montré leurs limites.
Pour diviser les émissions de gaz à effet de serre par 3, il reste donc la production par personne. L’homme doit donc décider de lui-même d’adopter un mode de vie sobre énergétiquement. Cela implique un monde en contraction avec une récession mondiale.
Le défi est de taille, il faut d’abord convaincre les politiques que la croissance n’est pas compatible avec une réduction des émissions de GES et que nous n’avons pas d’autre choix que d’opter pour une contraction de l’économie.
Il faudra ensuite mettre en œuvre des politiques encourageant la population à adopter volontairement un mode de vie plus sobre et cela avec un double objectif :
- Diviser les émissions de gaz à effet de serre par 3 d’ici 2050
- Réduire notre dépendance aux énergies fossiles amenées à se raréfier
Diviser les émissions par 3 à l’échelle mondiale revient à émettre seulement 2 teqCO2/pers. Un français moyen en émet aujourd’hui 6 fois plus.
A titre informatif, on atteint 2 teqCO2/pers avec seulement l’un des exemples cité ci-dessous :
- 15000 km en avion : 1 vol A/R Paris-Chicago
- 4 à 5 m² de logement construit (1m² =300-400eqCO2)
- 6000 à 8000 km en voiture de taille moyenne en zone urbaine
Pour pousser les gens à la sobriété, il existe 2 types de levier : le prix ou la réglementation.
Par exemple, on peut mettre en place une taxe carbone sur les carburants (levier prix). On peut également obliger les vendeurs d’automobile à construire des véhicules qui ne consomment pas plus de 2L/100 km (levier réglementaire). C’est tout à fait possible, il suffit de faire des plus petites voitures.
Remarque personnelle : pour moi, il y a également un levier pédagogique. En informant la population du danger à venir et en lui expliquant pourquoi différentes mesures sont mises en œuvre, elle sera plus à même de les comprendre et les accepter. Cela implique évidemment une certaine égalité sociale. Si on demande aux classes moyennes de faire des réductions sur leur consommation, ça ne peut pas fonctionner si les classes plus élevées n’en font pas autant (voire plus). Il ne faut pas oublier que les plus riches mondiaux (dont fait partie la classe moyenne française) sont responsables de la majorité des émissions de GES. La plus grande difficulté sera donc de leur expliquer qu’ils doivent réduire leurs propres consommations (Bon courage).
Pour contextualiser tout cela, aujourd’hui, l’essentiel des débats sur le réchauffement climatique se fait autour de la question de la source d’énergie : comment remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables, etc. alors même qu’en 20 ans, le taux d’émission de gCO2/kWh est resté constant. A aucun moment, il est évoqué la réduction de la consommation par personne et la réduction du confort de vie de chacun.
L’Homme sera-t-il capable de tels sacrifices ? Il convient à chacun d’avoir son propre avis sur la question.
7) Conclusion
La division des émissions par 3 est absolument nécessaire pour ne pas subir une crise climatique qui serait l’élément déclencheur d’une crise mondiale de tout type. Cette division par 3 repose sur la volonté des habitants de cette planète à diviser leurs émissions par 3 de façon volontaire.
Ce qui est certain, c’est que si cette réduction de la consommation n’est pas effectuée de façon volontaire alors la population mondiale subira les limites géologiques de la Terre (raréfaction des ressources) et le changement climatique. Pour rappel, le pic de pétrole devrait être atteint lors de la prochaine décennie. Cette limite géologique pourrait être notre salut pour limiter le changement climatique.
La réduction de la consommation énergétique par personne, qui sera soit choisie à travers un mode de vie sobre en énergie, soit imposée à travers le changement climatique et la raréfaction des ressources, implique un monde en contraction.
Dans le second chapitre, on a montré que le mode de vie de la population mondiale dépend de la consommation énergétique par personne. Un monde en contraction implique forcément une réduction des services donc une réduction du confort de vie (réduction de l’espérance de vie, etc.).
Si cette récession est subie, l’émergence de crises mondiales sans précédent sera inévitable.