Economie, Social, Ressources, Climat : 12 effets ciseaux qui nous guettent

Que vous votiez RN, LR, EM, PS, EELV ou LFI, que vous soyez pour ou contre les 35 heures, les 12 points qui suivent semblent mériter 3 minutes d’attention. Face à cela, notre pire stratégie serait de rester divisés. Ce qui ne signifie pas que nous devrions mettre de côté toutes nos différences, mais depuis que j’ai écrit cet article, je les considère comme secondaires (écrivez-moi si c’est votre cas aussi). Ne vous inquiétez pas, il y aura une conclusion optimiste :

1) Une bulle financière croissante et des économies de plus en plus dépendantes de la dette pour se maintenir à flot, mais des banques, des entreprises, des Etats et des ménages de moins en moins solides. L’énorme dette accumulée depuis 2008 n’a produit presque aucun effet sur la croissance. Et on s’apprête à nouveau à entrer en crise.

2) Un besoin croissant de protection sociale (vieillissement, santé, chômage), mais des capacités de financement de plus en plus limitées, avec des économies qui semblent s’essouffler.

3) Des tensions sociales, et des inégalités croissantes, mais des économies de moins en moins dynamiques dont les fruits de la croissance (de moins en moins forte) sont globalement de plus en plus mal redistribués.

4) Des capacités de maintien de l’ordre déjà sous tension, alors que le potentiel de tensions sociales et communautaires, et de contestation violente, est à peine entamé (ex. que se serait-il passé si les manifestations des Gilets Jaunes avaient été deux fois plus amples ? cela parait envisageable à l’avenir si l’on continue ainsi)

5) Des systèmes de plus en plus dépendants du pétrole et de l’abondance énergétique (y compris pour nous nourrir), alors que la disponibilité de l’énergie se réduit (par exemple le pétrole pour l’Europe et la France, qui n’a rien sur son sol). La demande mondiale d’énergie augmenterait de 50% voire doublerait d’ici 2050 (projection très théorique qui repose par exemple sur un boom énorme des énergies renouvelables intermittentes et diffuses)

6) Un Taux de Retour Énergétique décroissant du pétrole (il faut consommer de plus en plus d’énergie pour en produire) et un coût d’extraction croissant, tendance de long-terme car on va d’abord chercher le pétrole « facile », avant d’être acculés comme aujourd’hui à aller le chercher dans des gisements très difficiles (sables bitumineux, Arctique…). Et en face :

  • des économies incapables de payer le baril trop cher, au risque de s’écrouler (on a vu en 2008 les effets d’un choc pétrolier plutôt soft)
  • des découvertes de pétrole conventionnel qui décroissent depuis les années 70 ; aujourd’hui, pour 6 barils de pétrole conventionnels consommés, un seul est découvert
  • le risque que les pays qui nous exportent du pétrole, et dont le pic de production est franchi (Norvège, Algérie, Mexique…) ou proche d’être franchi (Russie), cessent de nous en vendre pour préserver leur souveraineté énergétique (et ainsi réduire leur risque de crise alimentaire)
  • des besoins mondiaux croissants pour accéder à la classe moyenne ou satisfaire la consommation des plus aisés
  • des besoins nouveaux qui nécessitent beaucoup d’énergie (ex. Internet)
  • une industrie américaine du pétrole non-conventionnel (dont dépend aujourd’hui l’équilibre mondial) toujours pas rentable, montrant des signes de fragilité et enchaînant les faillites (bien que les expertises divergent sur l’avenir de cette industrie devenue absolument cruciale…)

7) Des risques croissants de pénurie d’eau, notamment dans des régions densément peuplées dont la population augmente fortement (et des besoins croissants d’énergies fossiles pour dessaler l’eau de mer). Par exemple, la population de l’Inde pourrait augmenter d’environ 250 millions d’habitants d’ici 2050. J’ai franchement peur pour l’Iran, pays où sont nés mes parents (un conseil à l’Europe de l’Ouest qui vit depuis 75 ans sans trop d’Histoire : ne prenez rien pour acquis).

8) Des « prérequis » de plus en plus importants pour assurer nos besoins de base (ex. alimentation, électricité, eau), qui dépendent de plus en plus d’une énergie abondante, de ressources naturelles non-renouvelables (ex. phosphates, sable, métaux, terres rares…), et de technologies de plus en plus complexes… à reconduire génération après génération. Renseignez-vous auprès de logisticiens : aujourd’hui sans Internet, l’approvisionnement alimentaire est fortement compromis, et les supermarchés ont 3 jours de stock (car ce n’est pas « économiquement optimal » d’avoir des stocks). Et on ne sait pas produire les piliers de notre société moderne (acier, plastique, ciment, ammoniaque) sans énergies fossiles. Cela nous rend fragiles. Changer d’organisation nécessiterait beaucoup de temps, et si nous attendons que les problèmes se manifestent, il sera trop tard.

9) Des pratiques agricoles provoquant érosion des sols et chute de biodiversité nourricière (poissons, abeilles…), un dérèglement climatique menaçant de plus en plus les rendements, avec en face une population mondiale toujours croissante et souhaitant manger de plus en plus comme nous. Zoom sur la France : nous avons perdu 67% de nos zones humides en un siècle, ce qui nous rend moins résilients pour l’avenir.

10) Une incapacité politique, industrielle, technologique et citoyenne à réduire les émissions de Gaz à Effet de Serre (alors que les premières tonnes de CO2 sont les plus faciles à éliminer), avec en face une dépendance croissante de l’équilibre mondial aux énergies fossiles, et des risques de crise sociale voire alimentaire si leur consommation devait diminuer de manière suffisamment nette et rapide pour réduire la probabilité d’un dérèglement climatique auquel nous ne pourrions pas nous adapter.

11) Un besoin croissant d’énergie et de matériaux non-renouvelables pour nous adapter au changement climatique (ex. construction de serres agricoles pour pallier les crises alimentaires, de digues pour pallier la montée des mers), alors que les ressources « faciles » sont de plus en plus derrière nous.

12) Face à toutes ces vulnérabilités, une nécessité croissante d’autosuffisance et de sobriété, mais une industrie et une culture mondiale prenant la direction inverse (depuis notre naissance à tous), et ne montrant que de rares signes de bifurcation. On est ici sur une des racines du problème, les 11 autres points en sont les symptômes.

Les 12 facteurs étudiés vont interagir de manière complexe et imprévisible. A première vue, l’incertitude ne semble pas jouer en notre faveur.

Globalement, nous devrions être environ 10 milliards d’êtres humains en 2050… souhaitant consommer comme l’équivalent de 14 milliards. C’est ce que fait remarquer par exemple Jacques Blamont, un des principaux artisans du programme spatial français, alertant aujourd’hui sur le risque d’effondrement. Nous sommes donc partis pour multiplier notre empreinte par 2 en 30 ans, alors que la capacité de charge de la Terre est déjà mise à rude épreuve.

Si rien de tout cela ne vous touche ou ne jette un trouble, je ne peux plus rien, j’ai fait le maximum. Pas pour vous convaincre, mais pour que nous nous interrogions ensemble. Si vous vous sentez concernés, partagez cet article avec vos proches (copier-coller le dans Word et changez ce que vous voulez, ce n’est qu’une base de discussion que j’espère utile). Ils seront peut-être touchés à leur tour et vous pourrez aborder le sujet sereinement.

Si vous êtes électeur RN, Gilet Jaune, ou encore habitant des Quartiers, et si ce message vous touche, merci de me contacter à c.farhangi@collaborativepeople.fr pour travailler ensemble pour notre pays. J’ai fait de mon mieux pour n’offenser personne et ne pas créer de malentendu, mais n’hésitez pas à me le signaler si c’est le cas (pacifiquement si possible), et j’en suis désolé d’avance.

Malgré la sidération et la tristesse entraînées par ces constats (il ne reste donc franchement plus aucune place pour la colère et la recherche du bouc-émissaire, nous sommes tous dans le même vaisseau spatial), il y a néanmoins toutes les raisons de rebondir positivement avec joie et enthousiasme :

1) Serrez vos proches dans les bras, rencontrez de nouvelles personnes et nouez des liens de camaraderie avec autant de gens que possible. Vous êtes de moins en moins seul. Cet aspect socio-émotionnel couvre un bon gros tiers du chantier, et les choses se passeront déjà beaucoup moins mal si on le réussit.

2) Interpelez vos décideurs en entreprise, et vos élus locaux et nationaux : nous avons le droit à des réponses et à une vision à 10 ans, voire à 30 ans si ce n’est pas trop demander. C’est un autre gros tiers du chantier. Dans un monde qui bute sur ses limites, une vision inspirante à échelle nationale et surtout locale devient très pertinente.

3) Rejoignez les nombreuses initiatives en cours près de chez vous pour gagner en sobriété et en autonomie. Vous mettrez davantage de chances de votre côté pour tomber de moins haut, et tomber moins bas. Le chantier est colossal, intimidant, mais motivant ! Il va mobiliser votre intelligence et stimuler vos compétences. Il est porteur de sens. C’est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle : la responsabilité de votre bien-être et de votre sécurité pourrait de plus en plus reposer sur vous et votre communauté locale.

Bref, pour ma part, je vois à peu près à quoi consacrer le reste de mon existence au service de mon pays, celui de Vercingétorix, du Marquis de Sade, de Louis de Funès, du Général de Gaulle et de Zinedine Zidane (on fait avec ce qu’on a de notre histoire récente).

En ce qui concerne ma relation avec vous chers amis, je multiplie les rendez-vous avec des décideurs et citoyens engagés, et m’appliquerai à vous informer autant que faire se peut (blog, podcast, vidéos…) des leviers possibles pour engager une transition réaliste vers la résilience. Vous verrez déjà du contenu sur mon blog sur le mouvement néo-rural, mais c’est encore insuffisant, et je m’emploie chaque jour à trouver d’autres voies.

Il me semblait utile de produire ce petit diagnostic. Je le remettrai à jour selon la tournure des événements, mais je m’attarderai surtout désormais sur les leviers d’action.

Je remercie Jean-Marc Jancovici, Pablo Servigne, Gael Giraud et Christophe Nijdam qui m’ont inspiré cette synthèse. Je remercie Arthur Keller de nous donner des espoirs lucides sur nos moyens d’action. Je remercie Vincent Mignerot pour sa sérénité, sa bienveillance, et les espoirs qu’il suscite sur la possibilité de vivre les difficultés avec dignité et solidarité. Je remercie Jean-Pierre Dieterlen, drôle de personnage et source inépuisable d’informations.

Merci plus généralement à tous ceux qui travaillent dur sur la notion de limites. Leurs enseignements, leur persévérance, et leur pacifisme devraient nous pousser à l’humilité.

Je remercie enfin mon épouse, mes enfants, mes proches, et mes amis pour tous les moments de bonheur.

Si vous avez encore 3 minutes à consacrer à cette réflexion qui devrait a minima interpeller, voici 7 derniers points pouvant inciter à passer à l’action :

1) La loi du marché (offre et demande) et la « main invisible » ne savent pas gérer les stocks de ressources naturelles. Les prix n’ont pas de rapport avec les ressources disponibles. Si nous attendons que les prix augmentent pour nous ajuster, notamment avec des infrastructures coincées dans la dépendance à l’abondance, il sera beaucoup trop tard. En outre, d’après Dennis Meadows, le bon indicateur de l’épuisement d’une ressource n’est pas le prix mais l’intensité en capital des nouveaux gisements plus chers à exploiter, de sorte que l’industrie est incapable d’investir ne sachant pas ce que sera le prix, la spéculation le rendant trop volatil (observation confirmée par Patrick Pouyanné, PDG de Total, en juillet 2017 : « Cela fait trois années de suite où les investissements dans de nouveaux projets sont extrêmement faibles, on va manquer de pétrole à horizon 2020 »).

2) Les technologies devant « nous sauver » sont supposés exister maintenant pour tenir le timing. Pour le moment, les énergies renouvelables ne remplacent pas les énergies fossiles, elles s’empilent par-dessus et représentent une fraction négligeable. Les technologies d’efficacité énergétique (il faut bien sûr le faire !) voient leurs bénéfices annihilés en raison des effets rebonds (ex. les moteurs plus efficaces des voitures sont contrebalancés par davantage de kilomètres parcourus, et achètent des voitures plus lourdes). Historiquement, les technologies rajoutent surtout de la complexité, de la consommation de ressources, et de la vulnérabilité. La recherche en géoingénierie en est quasiment au point mort, et ce genre de « solution » serait un grand saut dans l’inconnu. Sur l’hydrogène, des prototypes existent, mais le passage à l’échelle dans les temps est compromis. Sur l’énergie de fusion, c’est au mieux pour le 22ème siècle (et ça ne produirait « que » de l’électricité, soit actuellement un quart du problème du changement climatique). Enfin, la capture de CO2 consommerait beaucoup d’énergie, car il s’agit de reproduire l’inverse de toute l’industrie du pétrole et du charbon (et ça ne résoudrait pas le problème du méthane et du protoxyde d’azote, autres gaz à effet de serre).

3) Si vous pensez qu’il reste « des ressources pendant encore 40 ans », ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, car concevoir et implémenter toute une nouvelle infrastructure d’approvisionnement prendra des décennies, surtout au regard de la tendance actuelle.

4) Une idée dominante est que « nous nous en sommes toujours sortis ». Mais la Grande Accélération mondiale de la consommation exponentiellement croissante de ressources n’a que 30-40 ans. De même pour notre système complexe d’approvisionnement en flux tendus et hyper-dépendant de tout un tas d’entreprises partout dans le monde. Notre civilisation est très jeune, et après seulement quelques décennies, les risques échappant à notre contrôle se multiplient déjà. Nous n’avons donc, pour le moment, ni recul suffisant, ni preuves véritables selon lesquelles « nous allons nous en sortir ». Surtout si « s’en sortir » revient à renforcer les causes des risques.

5) L’objectif de limiter le réchauffement climatique à +2 degrés parait déjà inatteignable. En raison de l’inertie de la machine climatique, le dérèglement des prochaines décennies est déjà dans les tuyaux. Et ce que nous ferons d’ici 2050 affectera le climat des décennies qui suivent. Donc si nous attendons, pour réagir, que les effets du changement climatique soient encore plus graves qu’aujourd’hui, il sera là aussi beaucoup trop tard. Comme le dit encore mieux et plus simplement Jean-Marc Jancovici, « ça risque d’être la guerre partout, et on a le doigt sur la gâchette maintenant ».

6) A l’image de l’inertie climatique, l’inertie démographique fait que « le coup est déjà parti » pour la population mondiale à 2050. Il y a davantage de levier pour limiter la hausse de la population mondiale d’ici 2100, mais tout ce qu’on projette théoriquement à un horizon aussi lointain est d’abord soumis aux soubresauts qui se produiront d’ici là.

7) Le climat observé aujourd’hui rejoint plutôt les scénarios pessimistes modélisés jadis. Les nouveaux modèles sont de plus en plus pessimistes. Et des scientifiques envisagent désormais la possibilité d’une « planète étuve », pendant que la plupart d’entre nous sera encore en vie, en raison des boucles de rétroaction (ex. fonte du permafrost libérant du méthane dans l’atmosphère et accélérant le réchauffement). Ce n’est qu’une possibilité, qui devrait tout de même nous questionner, car même si l’issue s’avérait 50 fois moins grave que cela, la situation demeurerait assez préoccupante.

A lire aussi

En l’absence de régulations politiques fortes, le pétrole a encore de beaux jours devant lui

Paléoclimatonégationnisme : ça ne s’arrange pas, mais ça permet de réviser de la paléoclimatologie !

Mauvaises nouvelles encore pour le nucléaire… les ENR derniers remparts face à l’Effondrement ?

Me suivre

Inscrivez-vous à la newsletter