Transition alimentaire, solidarité… que nous disent les premières semaines de confinement ?

Par Matthieu Perraudin
J+13 du confinement, les articles affluent, le coronavirus est au centre de toutes les discussions et il est déjà impressionnant de voir les nombreux signaux envoyés de par le monde et en France.
Il est intéressant d’essayer de regrouper certaines informations glanées au fil des lectures. L’idée est de s’intéresser aux changements que l’on observe en essayant d’axer l’analyse sur les aspects qui nous semblent positifs et en mesure d’amener une évolution au lendemain de la pandémie.
Nous ne reviendrons pas sur les éléments liés à la crise financière et aux difficultés rencontrées actuellement et qui se profilent post-confinement, ce serait trop long…
Ce premier travail ne se veut pas exhaustif… Vos contributions sont les bienvenues, n’hésitez pas à compléter en commentaires.
A l’échelle internationale
Un changement des rapports de force…
C’est officiel, presque tous les pays sont touchés par le Covid-19. La Chine a été le premier pays touché… Il sera aussi probablement le premier sur pieds ce qui lui donne un avantage considérable sur les autres…
Déjà, la Chine recommence à se positionner sur les échanges internationaux en venant aider les pays d’Europe… bouleversant ainsi les anciennes alliances et renversant les rapports de forces. Idem pour la Russie (dont on entend peu parler pour le Covid).
A l’inverse, les États Unis risquent de mettre du temps à se remettre du virus… Le pays a annoncé les mesures de confinement tard et le nombre de contaminés augmente à une vitesse effrayante. Le gouvernement continue d’hésiter entre la mise en œuvre de mesures de santé et la préservation de son économie… A cela s’ajoute la pression mise sur le cours pétrolier par l’Arabie Saoudite. Impossible de prévoir l’état du pays (et des autres) à la sortie de la crise, mais il semble probable que de nouvelles organisations et de nouveaux rapports voient le jour.
Les limites de la mondialisation…
Cette crise nous montre surtout la fragilité et l’absence de résilience d’un système mondialisé. Quand tout va bien, les échanges se font sans problèmes… Chaque pays garde sa spécificité faisant appel à la production dont les autres ont besoin… Mais quand le système se dérègle, c’est rapidement la panique…
Un petit exemple : la gestion des tests de dépistage pour la France. Ce n’est pas le seul argument évidemment mais la difficulté à tester à grande échelle provient aussi des difficultés d’approvisionnement. Certains composés étant uniquement fabriqué en Chine et aux État Unis, ces pays ont d’abord favorisé le dépistage à l’échelle national.
Avant cela, les difficultés de nos entreprises à s’approvisionner quand la Chine était à l’arrêt étaient visibles. Ces quelques éléments illustrent bien l’absence de résilience de nos systèmes.
Parvenir à redévelopper des entreprises locales (l’échelle restant à définir), réorganiser (limiter ?) les déplacements des matières premières va devenir primordial et pas uniquement en lien avec les contraintes environnementales (émissions de CO2 dues au transport). Le blocage des frontières ou les difficultés des routiers dans ces temps de confinement montrent aussi la fragilité d’un système dépendant d’une logistique complexe.
Dans l’autre sens, notre système agricole est fortement exportateur. Dès le début de la crise, la fermeture des ports chinois a amené des inquiétudes dans le secteur agricole concernant les exportations de lait, de vin et de porc principalement. Quel sera l’impact sur les exploitations agricoles et comment arriveront-elles à s’adapter si des marchés se ferment ou, tout du moins, évoluent ?
En France, des changements ou prises de conscience sont aussi en cours…
La fragilité de notre système alimentaire…
Sans rentrer dans le détail de la résilience alimentaire (d’autres comme Stéphane Linou, Les Greniers d’Abondance ou Plan(s) B le font déjà très bien), il aura fallu attendre cette crise pour que, par exemple, certaines grandes enseignes de supermarchés se rendent comptent qu’elles pouvaient se fournir en local pour les fruits et légumes.
Espérons que cela ne se fasse pas au détriment des agriculteurs (qui sont aussi sous pression pour écouler leur stock et donc peut être prêt à vendre à des prix plus bas) mais surtout que cela puisse perdurer.
C’est aussi l’occasion de se rendre compte de l’attachement des Français aux marchés de proximité. Difficile à dire si les grandes surfaces sortiront fragilisées de la crise (découverte d’autres modes de consommation pour certains, plus de temps pour cuisiner…) ou si au contraire, elles renforceront leur importance (notamment via les drives).
Des initiatives intéressantes, des modèles de vente à la ferme, de ventes ambulantes…émergent localement. Elles permettent à la fois de vendre des produits de qualité avec peu d’intermédiaires et de ne pas être dépendant des intermédiaires (dont transport).
Enfin, à voir si la réquisition d’une partie de la population pour aller travailler chez les maraîchers et arboriculteurs peut créer des vocations (même si le rôle de saisonnier n’est peut-être pas le plus motivant pour découvrir l’intérêt et la beauté du métier d’agriculteur…)
Le cas de l’élevage français…
Quel sera l’impact de la crise dans des pays comme le Brésil, grand exportateur de soja (donc à la base de beaucoup de nos productions alimentaires) sachant que J. Bolsonaro ne semble pas souhaiter prendre de mesure de protection de sa population ? Comment l’agro-alimentaire pourrait s’adapter en cas de fermeture des importations ?
Au-delà des industries agroalimentaire, l’élevage pourrait aussi être concerné. La production agricole française est très dépendante des importations de soja (50% des importations pour la volaille, 24% pour les porcs, 16% pour les bovins laits). La France a la possibilité de produire localement des protéines (soja, tourteaux de colza…) mais le coût est estimé 20% plus cher en général. Cette différence aurait un impact considérable sur les coûts de production pour les agriculteurs et donc sur la rentabilité d’exploitations déjà en difficultés.
Cette crise sera peut-être l’opportunité de mettre en avant d’autres systèmes de productions dont les systèmes « tout herbe » pour les bovins encore trop peu développés dans les campagnes. Néanmoins, le changement ne pourra se faire du jour au lendemain du fait des nombreux blocages existants (accompagnement du changement auprès des agriculteurs, restructuration des filières…) et de nombreuses exploitations risquent de se retrouver en difficulté.
Un changement d’organisation du travail…
Cette crise sera surtout l’occasion de rebattre les cartes sur le monde du travail. Le télétravail devenant obligatoire pour une partie de la population, de nombreuses entreprises vont se rendre compte que cela peut fonctionner, même durablement…
Idem sur la gestion des réunions ou des déplacements professionnels…Cette période, qui s’annonce assez longue, va totalement modifier la perception du bureau au moins pour les cadres. Le format ou le nombre de réunions risquent d’évoluer puisque la distance nous oblige déjà à tester de nouvelles méthodes. Cela pourrait aussi avoir un impact sur l’immobilier de bureau urbain en ville.
Le fait de ne pas avoir un bureau fixe par salarié peut conduire à des économies importantes en charge de structure présentant aussi un intérêt direct pour les entreprises. Au-delà de la théorie, la période actuelle nous impose une mise en pratique qui montre que les évolutions sont possibles.
Et cela pourrait s’accompagner d’autres changements plus profonds…
Un exode rural à venir ?
La question de l’autonomie alimentaire mais aussi les changements d’organisation de la vie au travail risquent de faire déplacer une partie de la population vers les campagnes… Nombreux sont ceux qui depuis plusieurs années rêvaient de quitter la ville mais n’avaient jusque-là pas osé le faire. 1 mois et demi, au bas mot, va montrer que ce changement est possible, que les campagnes peuvent être adaptées à accueillir des travailleurs (fibre, commerces, écoles…) et qu’on y est bien… Cela pourrait devenir la revanche des « Gilets Jaunes » dont une des revendications était de revoir l’organisation des campagnes, développer les transports en commun…
Attention cela dit… 2 points sur lesquels il faudra rester vigilant :
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Ce déplacement s’adresse principalement à une frange aisée de la population pouvant amener à une distinction sociale (même si elle existe déjà dans l’organisation actuelle…) et faisant évoluer l’organisation des campagnes
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Le rêve d’avoir sa maison, son terrain… ne sera pas compatible avec les objectifs de 0 artificialisation des sols agricoles et de maintien de l’activité agricole… Il va donc falloir trouver des modèles mixtes autour des villes de taille intermédiaire.
Un changement de rapport à la consommation ?
Confinés, la consommation diminue forcément même si les commandes en ligne sont toujours possibles. Avec une réouverture progressive des magasins, ces changements d’habitudes vont durer au bas mot 2 mois. Ils vont peut-être amener à une réflexion sur notre dépendance aux achats et surtout à la compulsivité de la plupart de nos acquisitions.
De nouvelles formes de solidarité.
Les articles sont nombreux sur les comportements inciviques, sur les difficultés dans certaines zones à faire respecter les mesures de confinement ou sur le risque que cette crise aggrave les inégalités sociales.
Il nous semble néanmoins important pour terminer d’insister aussi sur l’émergence de nouvelles formes de solidarités dans les villes, dans les immeubles, envers certaines professions (routiers, personnels soignants…). Les exemples sont nombreux et dans toutes les tranches de la société.
Les banlieues, souvent encore décriées dans des articles sont le théâtre d’initiatives d’entraides. Sans faire preuve de naïveté, inspirons-nous des exemples positifs.
Seulement 13 jours et déjà de nombreuses portes s’ouvrent, des changements de mentalité s’opèrent, les organisations évoluent…
Il serait utopique de penser que tout va changer à la fin de la crise… Le gouvernement, les entreprises vont vouloir relancer rapidement la consommation parce que, pour l’instant, notre économie est basée sur ce modèle.
Néanmoins, des initiatives vont être prises : par les entreprises, les salariés, les maires et vont conduire localement à des changements… Il y a une prise de conscience qu’un autre modèle est possible, qu’on peut faire évoluer sa manière de se nourrir, d’acheter, changer notre rapport au travail… Les évolutions se feront progressivement mais un mouvement est probablement lancé et en tout cas, aura pris de l’envergure pendant cette période…
Pour aller plus loin :
2 https://www.lefigaro.fr/international/l-armee-russe-va-envoyer-de-l-aide-en-italie-20200322
3 https://charliehebdo.fr/2020/03/international/russie-le-pays-ou-le-coronavirus-nexiste-pas/
7 https://www.reussir.fr/coronavirus-agriculture-consequences
8 https://resiliencealimentaire.org/