Agriculture

Pratiques agricoles et potentiel de stockage de carbone dans les sols en France

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Par Sylvain Bessonneau

Cet article reprend les principales conclusions de la synthèse de l’étude intitulée « Stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? » (INRA, 2019).

L’initiative 4 pour 1000

« A l’échelle planétaire, le stock de carbone organique des sols représente de l’ordre de 2400 Gt de C. Le rapport entre les émissions anthropiques annuelles de C (9,4 GtC) et le stock de C des sols (2400 GtC) est de l’ordre de 4‰, ce qui suggère qu’une augmentation de 4‰ par an du stock de C des sols permettrait théoriquement de compenser les émissions anthropiques de CO2.

En France, le stock total de carbone organique dans l’horizon 0-30 cm des sols (hors surfaces artificialisées) est de l’ordre de 3,58 Gt de C, équivalent à 13,4 Gt de CO2e. Une augmentation de 4‰ par an de ce stock compenserait de l’ordre de 12% des émissions françaises de GES (458 MtCO2e en 2016). En faisant le calcul, très théorique, sur l’horizon 0-100 cm, le pourcentage de compensation atteindrait 15%. Ce calcul montre que dans le cas d’un pays comme la France, le stockage additionnel de carbone dans les sols ne peut en aucun cas suffire à atteindre la neutralité carbone. » (1)

Ces 12% s’expliquent en partie par 2 facteurs :

– La France fait partie des mauvais élèves en matière d’émissions de gaz à effet de serre (émissions supérieures à la moyenne mondiale).

– La France est un pays relativement dense (environ 2.5 fois plus que la densité de population mondiale).

Stockage de carbone dans les sols

Les sols sont constitués de matières organiques composées de plus de 50% de carbone. Ce carbone provenant de l’atmosphère a été synthétisé par les plantes et a intégré le sol par les exsudats racinaires, la chute des feuilles, etc. La quantité de carbone dans les sols représente le stock. Le stockage correspond à la variation de ce stock dans les années à venir.

Pour augmenter le stock de carbone, il faut que le flux entrant soit supérieur au flux sortant. Le flux entrant correspond aux apports de biomasse restituée au sol et le flux sortant est la minéralisation de la matière organique effectuée par les microorganismes du sol qui transforment le carbone en CO2 ou CH4.

Méthode

Les chercheurs de l’INRA utilisent des modélisations mathématiques pour simuler les variations de stock de carbone dans les sols en fonction des différentes pratiques. Chaque simulation est effectuée sur les 30 prochaines années. Elles sont réalisées sur l’horizon 0-30 cm. En France métropolitaine, cet horizon contient environ la moitié du carbone stocké dans les sols. C’est en majorité dans cet horizon qu’a lieu les variations de stock de carbone.

Dans un premier temps, les chercheurs simulent un scénario en considérant une conservation des méthodes actuelles. Le stockage de carbone obtenu correspond au stockage tendanciel. Dans un second temps, ils réalisent une simulation pour chaque pratique. Le stockage supplémentaire vis-à-vis du stockage tendanciel correspond au stockage additionnel permis par le changement de pratique.

Stock dans 30 ans = Stock actuel + Stockage tendancielle + Stockage additionnel de chaque nouvelle pratique

Potentiel de stockage en France

9 pratiques agricoles permettant de stocker du carbone ont été identifiées.

– En prairie

  • Intensification modérée des prairies extensives par apports de fertilisants (50 kg N/ha). La production additionnelle de biomasse accroit le stockage

  • Exploitation de l’herbe par pâturage plutôt que par fauche. L’augmentation du retour au sol du carbone s’explique par la moindre exploitation de l’herbe (refus par les animaux) et par l’apport des déjections

– En grandes cultures et cultures pérennes

  • Le passage au semis direct (pas de travail du sol)

  • Mise en place de cultures intermédiaires et intercalaires

  • Accroissement de la part des prairies temporaires dans les successions

  • Apport au sol de matières organiques exogènes supplémentaires qui sont aujourd’hui incinérées ou mises en décharge

  • Développement de l’agroforesterie intra-parcellaire

  • Implantation de haies

  • Enherbement des inter-rangs en vignoble

Pour chacune des pratiques, voici le stockage additionnel obtenu. L’assiette correspond à la surface concernée par le changement de pratique.

En valeur absolue, les 2 pratiques les plus « stockantes » sont l’extension des cultures intermédiaires et l’agroforesterie intra parcellaire. La mise en application de ces pratiques conduit à un stockage additionnel de 1.9‰.

En ajoutant ce stockage additionnel au stockage tendanciel, on obtient le stockage prévisionnel total.

Le stockage tendanciel est donné par une fourchette comprise entre -0.2/+3.2‰ qui s’explique par des valeurs différentes entre les simulations et la littérature. Ainsi, le stockage total prévisionnel est compris entre 1.7 et 5.1‰.

Bilan GES des nouvelles pratiques :

L’objectif de l’initiative 4‰ est de capter les émissions de gaz à effet de serre. Or, l’impact de ces 9 pratiques vis-à-vis des processus liés au changement climatique ne se limite pas au seul stockage de carbone dans les sols. Certaines captent du CO2 dans le bois (agroforesterie intra parcellaire, haies), d’autres nécessitent l’emploi d’énergies fossiles (fabrication d’engrais pour l’intensification des prairies permanentes). Ainsi, le bilan GES de ces pratiques met en évidence celles qui ont un réel intérêt vis-à-vis du changement climatique de celles qui ont des impacts limités voire nuls.

D’après ce tableau, 4 pratiques sont réellement significatives : l’agroforesterie intra-parcellaire, l’extension des cultures intermédiaires, les haies et l’insertion et l’allongement des prairies temporaires. Leur mise en œuvre permet de soustraire 57 MtCO2e/an pendant 30 ans ce qui représente 12% des émissions de GES françaises en 2016.

Focus semis direct

Le semis direct, ou culture sans labour (sans travail du sol), est sujet à controverse au sein même de la communauté scientifique. Certains affirment que sa mise en œuvre permettrait de stocker une quantité significative de carbone quand d’autres sont perplexes.

D’après l’étude de l’INRA, l’effet principal du semis direct est l’augmentation de la teneur en C sur la couche 0-15 cm du sol car le labour renverse les horizons et incorpore ainsi la MO en profondeur. « En revanche, lorsque l’ensemble du profil de sol est considéré (0-150 cm), on n’observe pas d’accroissement du stock de carbone en supprimant le labour. » (2)

C’est la raison pour laquelle la pratique du semis direct apparait dans le tableau 4-32 qui donne le stockage additionnel sur l’horizon 0-30 cm et n’apparait pas dans le bilan GES, son impact étant nul. Néanmoins, cela ne discrédite pas la pratique du semis direct dont les avantages sont multiples : préservation de la biodiversité fonctionnelle, amélioration de la structure du sol, augmentation de la réserve utile, réduction de la sensibilité à l’érosion.

D’ailleurs, il n’y a pas de référence chiffrée sur la perte de carbone par érosion dans cette étude. Cela peut s’expliquer par une érosion limitée en climat tempérée (de l’ordre de 1 à 5 t/ha/an en France soit jusqu’à 0.4 mm d’érosion par an) par rapport aux milieux subtropicaux à saison sèche : par exemple, à Chypre, l’érosion oscille entre 3.5 et 30 t/ha/an. (3)

De plus, il est difficile de savoir si le carbone dans cette couche de sol érodé est renvoyé dans l’atmosphère ou est simplement déplacé. Dans la deuxième situation, cela aura une forte influence sur les performances agricoles des parcelles concernées mais n’en aura pas sur le bilan GES global.

Limites du stockage de carbone

Le potentiel de stockage dans les sols n’est pas illimité. Par exemple, dans les prairies permanentes, il n’est quasiment plus possible d’en stocker. L’enjeu est donc de conserver le carbone stocké.

Ainsi, le stockage additionnel lié à une bonne pratique aura un comportement asymptotique dans le temps. Prenons l’exemple de l’insertion de prairies temporaires. Au début, cette pratique va stocker beaucoup de carbone additionnel ; puis ce stockage additionnel va diminuer jusqu’à devenir nul lorsque le point d’équilibre sera atteint. De plus, les bonnes pratiques doivent être maintenues au risque de déstocker le carbone et ainsi de perdre TOTALEMENT l’intérêt des efforts consentis les années précédentes.

Conclusion

– En France, l’augmentation annuelle de 4‰ du stock de carbone dans les sols se traduirait par une compensation de seulement 12% des émissions nationales (de 2016).

– Les 4 pratiques significatives sur le bilan GES sont : l’agroforesterie intra-parcellaire (l’implantation d’arbres dans les grandes cultures), la plantation de haies, l’implantation de cultures intermédiaires et l’insertion et l’allongement des prairies temporaires.

– Le potentiel est limité, le stockage de carbone a un comportement asymptotique. Il ne permettra pas de compenser ad vitam æternam les émissions mondiales.

– Le non travail du sol ne permet pas de stocker davantage de carbone, bien qu’il présente d’autres avantages (préservation de la biodiversité fonctionnelle, amélioration de la structure du sol, augmentation de la réserve utile, réduction de la sensibilité à l’érosion).

Sources

[S] INRA (2019). Synthèse de l’étude « Stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? »

(1) [S] p.5

(2) [S] p.58

(3) Duchaufour et al. (2020). Introduction à la science du sol, 7ème édition, Dunod, p. 397

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