Conférence magistrale du Professeur Sélosse sur la vie du sol

Conférence magistrale du biologiste Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Arrêtez ce que vous faites et prenez 40 minutes pour regarder. A défaut, voici quelques points clés:
* Le sol doit être perçu comme un ensemble riche et complexe d’écosystèmes terrestres, tout le reste (la fertilité des océans, une bonne part de la concentration de CO2 atmosphérique…) découle de ça.
* L’érosion des sols est nécessaire aux équilibres écosystémiques mais l’excès d’érosion est nuisible : c’est dans le sol que s’altèrent les roches, qu’elles se transforment en solutés et particules, et qu’elles passent dans les rivières puis dans les océans. Si le sol est trop érodé, l’activité de relâchage de la fertilité des roches s’arrête, or celle-ci est à la source de la fertilité des océans.
* Le sol représente 23% des espèces recensées, contre 13% dans les océans.
* La diversité des espèces équivaut à la diversité des fonctions vitales et des services écosystémiques rendus par le sol : recyclage des éléments (carbone, phosphore, azote… sans quoi il n’y aurait pas d’azote dans la biosphère), rôle d’auxiliaire de croissance des plantes (90% des plantes ne poussent pas sans champignon) etc. Certains microbes convertissent le souffre organique en sulfates, d’autres convertissent l’azote organique en nitrates (forme utilisable par les plantes), certains oxydent le fer.
* Aujourd’hui les plantes ont de plus en plus besoin d’azote et de phosphate amené sous forme facilement consommable car leurs auxiliaires meurent. Ces auxiliaires ne jouant également plus leur rôle phytosanitaire, la dépendance aux pesticides augmente. C’est un cercle vicieux où les intrants détruisent le champignon, entrainant encore plus de dépendance de la plante.
* L’agriculture labourée / « retournée » augmente de 10 à 100 fois le taux d’érosion des sols. Les sols de la Beauce affichent aujourd’hui le même taux d’érosion que les sols des Alpes (alors que les sols de la Beauce ne sont pas pentus).
* Le CO2 anthropique commence à être émis en quantités non-négligeables il y a 10 000 ans avec la naissance de l’agriculture (labourée), qui oxygène le sol mais relâche du CO2. Il conviendrait de regarder le capacité de recapture de carbone des sols chez nous avant de donner des leçons à Bolsonaro sur la déforestation.
* Les sols méditerranéens ne sont pas très riches en raison de 5000 ans d’agriculture retournée. Pour la même raison, les premières régions ayant adopté l’agriculture il y a 10 000 ans (parties du Moyen-Orient et de la Chine) sont aujourd’hui désertifiées.
* Le labour permet de remonter les éléments minéraux à la surface, mais c’est un emprunt sur l’avenir ! Car l’érosion rend les sols moins durables.
* 25 à 40 milliards de tonnes de sols filent à la mer chaque année, VS 7 milliards de tonnes avant l’avènement de l’agriculture
* La pédologie n’était pas enseignée dans l’enseignement universitaire de Monsieur Sélosse. C’est en rencontrant Claude Bourguignon qu’il s’y est intéressé.
* Il existe plein de raisons de réduire notre consommation de viande à 15-25kg annuels (VS 85 kg en moyenne en France), niveau qui est nécessaire à notre santé, et permet de maintenir l’équilibre des écosystèmes. Dans certains écosystèmes les sols sont verrouillés de tannins, qui empêchent la minéralisation et l’action de décomposition (ex. landes bretonnes, landes du Connemara). Les plantes n’y poussent pas beaucoup. Ce sont des « sols à viande » où il vaut mieux laisser des bêtes pâturer, entretenir la prairie (et les services écosystémiques qu’elle rend) et valoriser cette biomasse.
* Il n’y a pas de solution générale et la solution est entre les mains des producteurs. C’est une perspective valorisante pour les « praticiens » que sont les agriculteurs.
(promis on va parler de glyphosate).
* Les inventeurs des engrais chimiques ne sont pas des « terroristes » mais des héros qui cherchaient à nourrir le monde. Ils y sont arrivés, mais avec des effets de bord que nous ne voulons plus aujourd’hui. On ne fera cependant rien sans conséquence, il n’y aura pas de recette miracle, tout ce qu’on fera entrainera des problèmes à gérer pour les générations suivantes.
* Les sols ont aujourd’hui perdu 30-40% de leurs microorganismes mais la bonne nouvelle est que la diversité des espèces reste stable, et très élevée ! Le nombre de représentants par espèce diminue, mais il est encore temps d’agir !
* Il faut remettre de la Matière Organique dans le sol, ce qui permet (généralement, pas toujours) que le sol « colle » et évite de s’éroder.
* La permaculture permet de reverser complètement les effets négatifs de l’agriculture sur l’érosion et de retrouver des taux d’érosion naturels
* Un microbiologiste ne pourra jamais défendre l’usage du glyphosate. C’est un toxique grave pour les champignons mycorhiziens. L’agriculture y est à ce jour dépendante, mais il faut financer des recherches beaucoup plus sérieusement afin de pouvoir un jour s’en passer.
* Les décisions d’aménagement ne prennent pas en compte la valeur des sols : l’équivalent de la surface d’un département français est artificialisé tous les 7 ans.
* Les Sciences de la Vie et de la Terre sont hélas de moins en moins enseignées au Lycée, tendance à inverser.
Demain la Terre – Marc-André SELOSSE : « Quelle agriculture pour demain ? » – YouTube