La fusion nucléaire, l’énergie des étoiles : science-fiction ou réalité ?

Une source d’énergie abondante, non émettrice de CO2 et sûre… voilà un pitch qui parait plus qu’attractif à une époque où décarboner notre production d’électricité (et d’énergie en général), qui à l’échelle mondiale est produite à plus de 60% à partir de combustibles fossiles, est une urgence mondiale pour lutter contre le changement climatique. C’est ce que promet la fusion nucléaire d’après ses adeptes. Ses détracteurs, quant à eux, diront que la fusion c’est pour dans 30 ans… et ça le restera toujours. Qu’en est-il exactement ? Qu’est-ce que la fusion et où en sont les recherches ? Et à quand une électricité de fusion ? Telles sont les questions que nous allons aborder ici.
Il existe deux façons de produire de l’énergie par des procédés nucléaires : la fission ; qui est à l’œuvre dans les centrales nucléaires et la fusion. La fusion est le procédé qui se produit au cœur des étoiles (et donc de notre soleil). Dans le cas de la fusion, deux noyaux s’assemblent pour former un atome plus lourd. Le soleil fusionne environ 600 millions de tonnes d’hydrogène par seconde pour les transformer en hélium, produisant chaque seconde un million de fois la consommation énergétique annuelle mondiale !
Le principe de la fusion, pour les non-experts dotés d’une capacité de concentration de 2 paragraphes
Fusionner des atomes requiert des conditions extrêmes. Il est en effet nécessaire de surmonter la répulsion électrostatique entre les noyaux (positivement chargés) pour réaliser des collisions à hautes énergies et permettre la fusion. Pour atteindre ces conditions, Il faut chauffer à des températures très élevées- la température au centre du soleil est environ 15 millions de degrés- la matière à de telles températures est à l’état de plasma. Un réacteur de fusion est comme un amplificateur de puissance : les réactions de fusion doivent produire plus d’énergie que celle nécessaire pour porter le plasma à la température requise. On estime qu’un réacteur « commercial » devra atteindre un facteur d’amplification de 30-50 pour être rentable.
Sur Terre, les recherches en fusion se concentrent sur la réaction entre deux isotopes de l’hydrogène : le deutérium et le tritium car la réaction deutérium-tritium est la plus « facile » à réaliser. Elle nécessite tout de même d’atteindre une température d’environ 150 millions de degrés. Apparaît immédiatement l’un des gros défis de la fusion : contenir dans une enceinte solide un plasma à une température à laquelle aucun matériau n’est capable de résister. Un plasma réagissant aux champs magnétiques, on utilise des champs magnétiques très puissants- typiquement 100 000 fois plus intenses que le champ magnétique terrestre- pour le confiner et l’empêcher de toucher les parois de l’enceinte. La configuration magnétique la plus efficace est appelée Tokamak, un acronyme russe pour « Chambre toroidale dans un champ magnétique » ; les russes ayant inventé cette configuration dans les années 1960. Le plasma est alors confiné sous la forme d’un tore.
La fusion est intéressante pour des raisons de sécurité, de densité énergétique, et d’abondance de la matière première
Contrairement à la fission, une réaction de fusion ne peut pas s’emballer. Il suffit de couper la puissance de chauffage ou l’alimentation en particules pour que le plasma s’éteigne très rapidement. Les quantités de matière mises en jeu dans le plasma sont extrêmement faibles, sa masse est de l’ordre de quelques grammes. Même en cas d’accident provoquant un relâchement de tritium, qui est radioactif avec une durée de demi-vie de 12.3 ans, une évacuation des populations environnantes n’est pas nécessaire. La fusion ne produit pas de déchets à haute activité et vie longue, ceux-là même qui posent problème dans la fission. Le produit de la réaction de fusion est l’hélium, un gaz inerte. L’activation des matériaux de structure crée des déchets dont la durée de demi-vie ne dépasse pas la dizaine d’année limitant le besoin de stockage longue durée- les matériaux pouvant être recyclés après une centaine d’année.
La fusion est sur la plus haute marche du podium en matière de densité énergétique : 1kg de combustible contient la même quantité d’énergie que 10kg d’uranium et surtout que 16t de pétrole ! Le combustible, deutérium et lithium à partir duquel est produit le tritium, est disponible en grandes quantités et bien distribué géographiquement, faisant de la fusion une énergie en principe très abondante- la récupération du deutérium et du lithium dans l’eau de mer permettrait d’accroitre ces ressources de façon significative.
Le projet ITER prévoit un réacteur de démonstration dans les années 2050
Les recherches sur la fusion nucléaire contrôlée ont commencé vers la fin de la deuxième guerre mondiale aux Etats-Unis et en URSS. Des progrès constants ont été réalisés au cours du temps et ont culminé dans les années 1990 par la réalisation d’expériences avec des mélanges deutérium-tritium (le tritium étant radioactif les expériences utilisent en général uniquement du deutérium) aux USA (Princeton dans le New Jersey) et en Angleterre (Oxford) permettant de démontrer expérimentalement la production d’énergie par fusion nucléaire. Cependant, ces expériences ont atteint des taux d’amplification inférieurs à 1, le record est 0.76, c’est-à-dire que l’énergie produite était inférieure à celle injectée dans le plasma. Les tokamaks ayant produit ces records étaient trop petits pour pouvoir atteindre des gains nets d’énergie.
C’est l’objectif du projet ITER, en construction à Cadarache au nord d’Aix-en-Provence, sur lequel collaborent 35 pays et qui vise à démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l’énergie de fusion. L’objectif est un gain de l’ordre de 10 : 500 MW (thermiques, pas de conversion électrique) produits pour 50 MW injectés. Démarré en 2006, le projet ITER a souffert d’un début difficile lié à la mise en place d’une organisation complexe appliquée à l’un des projets technologiques les plus ambitieux. Le démarrage des opérations est maintenant prévu pour 2025 et, après une montée en puissance progressive, les opérations deutérium-tritium doivent démarrer vers 2035. La feuille de route européenne prévoit ensuite la mise en service d’un réacteur de démonstration dans les années 2050.
Pourquoi des échelles de temps si longues ? Un plasma de fusion est très turbulent et il est nécessaire de comprendre ces effets et stabiliser le plasma. ITER est une machine d’une taille d’environ 30mx30m (dimensions du cryostat) dont les composants sont extrêmement complexes, massifs mais fabriqués et assemblés avec des tolérances très faibles. Beaucoup de ces composants n’ont jamais été construits auparavant, ce qui nécessite beaucoup de développement et donc de temps.
La route vers une production massive d’électricité reste longue en raison de verrous scientifiques et technologiques
En parallèle, des entreprises privées se sont lancées dans l’aventure (http://julien.hillairet.free.fr/wiki/doku.php?id=list_of_fusion_startups) avec différents concepts de confinement, mais partageant toutes l’ambition d’accélérer le développement de la fusion. L’une de ces entreprises (CFS, une spin-off du MIT) a attiré l’attention du fond d’investissement Breakthrough Energy Ventures auquel contribuent entre autre Bill Gates et Jeff Bezos. Même si l’une de ces entreprises réussissait à démontrer la production d’énergie plus tôt qu’ITER, la route vers une production massive d’électricité reste longue, faisant de la fusion une énergie pour la deuxième moitié de ce siècle au plus tôt.
Il reste en effet plusieurs verrous scientifiques et technologiques à dépasser parmi lesquels on peut citer le développement de matériaux pouvant résister aux conditions extrêmes de la fusion ou la maîtrise de la production de tritium (un réacteur de fusion devra produire plus de tritium qu’il n’en consomme). De nouveaux aciers, dits à faible activation, sont en développement afin d’améliorer leur résistance aux forts bombardements neutroniques. ITER testera plusieurs concepts de production de tritium permettant de développer un système essentiel pour un futur réacteur.
Aussi prometteuse soit-elle, et bien que souvent citée comme une solution ultime pour la production d’énergie, la fusion ne pourra pas contribuer à la transition énergétique nécessaire pour respecter les objectifs de la COP21 (d’autant plus qu’elle ne produirait « que » de l’électricité, soit environ un quart du problème des émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui). Sa maîtrise n’en resterait pas moins un succès scientifique et technologique majeur.
Greg De Temmerman est chercheur sur le projet ITER et travaille sur les problématiques d’interaction entre le plasma et les matériaux.