La fin du consumérisme : on a gagné la bataille culturelle (sans tirer une balle)

« Plus aucun poste de consommation n’augmente durablement en France » d’après Cécile Désaunay, directrice d’études chez Futuribles, et auteur de La société de déconsommation, la révolution du vivre mieux en consommant moins ?
Tapez « déconsommation » dans votre moteur de recherche, consultez les statistiques de consommation de textile, de viande, de jouets, de meubles, de trucs de machins et de bidules depuis 5-10 ans, écoutez les observateurs, consultez les sondages (ça vaut ce que ça vaut, mais c’est un signal de plus… il y a 10 ans, on n’avait clairement pas 67% des Français se disant favorables à la décroissance). Le chant du cygne pour le consumérisme.
C’est terminé. L’arrogant et le méprisant Patrick Le Lay a perdu. Le sage et le bienveillant Lao Tseu a gagné. On entre dans une nouvelle ère, sans violence. L’ère précédente ne pouvait pas durer bien longtemps, et ne sera nullement regrettée.
Ça tombe bien, je n’avais personnellement pas l’intention de perdre. Surtout face à un adversaire cynique, dénué de toute éthique, qui programme l’obsolescence des objets, qui nous gave de dettes et de produits toxiques, déguise insidieusement les publicités en « infos » (ex. avez-vous déjà vu une « pub » pour Tesla ? eh bien voilà… avez-vous l’impression de voir des « infos » au JT ? reconsidérez cette impression sous cet angle), qui nous prend pour des imbéciles, et qui endoctrine nos enfants. A chaque Noël c’est la même mascarade : les marques prennent en otage ce qui était à la base une tradition et une occasion de se recueillir entre proches. Ma petite fille de 6 ans ne veut rien pour Noël : évidemment pas pour raison écologique, ni par influence familiale. Elle n’a juste naturellement envie de rien de plus dans la vie, même si on lui demande avec insistance. Elle est, comme d’autres enfants bien nourris, en bonne santé, et entourés d’une famille aimante, heureuse de vivre. Donc que la propagande consumériste hors-sol lui fiche la paix, elle n’a rien demandé. Papa lui offrira quand même une sortie culturelle et culinaire.
La société de consommation, les Français s’en méfient depuis le départ, et la rejettent désormais de plus en plus dans la pratique. La France ce sont de grands artistes, de grands entrepreneurs, de grands scientifiques, de grands athlètes, et des citoyens fiers. Rien à voir avec un projet de réduction de l’homme à l’état de consommateur déraciné que la Matrice gave de produits de plus en plus futiles et aliénants. Quand on en arrive là, ça sent clairement la fin.
La question va bien au-delà du seul enjeu environnemental : c’est une question d’honneur, d’hygiène de vie, et de limite morale à la marchandisation du monde. C’est aussi une question de justice sociale et intergénérationnelle : la surconsommation de ressources par une minorité de plus en plus réduite prive la majorité et les générations futures de ressources naturelles, de budget carbone et d’écosystèmes en bon état. Il est évidemment hors de question que les classes laborieuses et les jeunes soient les dindons de la farce de la décroissance.
Malgré le désastre écologique hélas devenu en partie inéluctable (mais qui peut encore être atténué), nous pouvons tout de même regarder une partie de l’avenir avec confiance, en aspirant a minima à la beauté du geste. Le recyclage était une pratique marginale il y a encore 20 ans, il est aujourd’hui globalement entré dans les mœurs. C’est un petit début et c’est au tour du réemploi, de la réutilisation, de la réparation et du reconditionnement de se développer. Ce n’est franchement pas un saut quantique en termes de mode de vie : il suffit de développer une offre visible avec pignon sur rue, les Français sont prêts. D’ici 10 à 20 ans, par nécessité et par conviction, nous déposerons tous nos meubles, jouets, vêtement et autres objets en fin de vie dans les commerces, qui seront tenus de les reconditionner et de les revendre. Les rayons d’occasion seront dominants. Nos placards ne contiendront plus d’objets inutilisés ou inutiles. Nous aurons bâti un fonds de roulement optimisé de matériaux et d’objets, et une économie circulaire efficiente.
Nous utiliserons nos objets le plus longtemps possible, dans un plus grand respect du travail humain et de la nature. Nous créerons des centaines de milliers d’emplois dans la réparation et le réemploi. Tout sera réemployable car conçu en amont dans ce but. Les entreprises persistant à faire autrement ne seront plus compétitives : les consommateurs seront écœurés, et de toute façon les ressources naturelles manqueront (« on n’a pas de pétrole », mais on a des trucs et des machins : la voilà notre matière première). A défaut, la réglementation se durcira, à la demande des citoyens.
A ce propos, vous pouvez relire les excellentes propositions du groupe de travail « Consommer » de la Convention Citoyenne pour le Climat (qu’on aurait dû nommer « Convention Citoyenne pour la Dignité, la Biodiversité, et aussi un peu le Climat même si c’est plus abstrait et lointain », mais c’était un peu long). Voilà ce dont sont capables des citoyens tirés au sort. De quoi faire pâlir nos politiques à l’esprit formaté et la bureaucratie sans imagination. Les propositions furent malheureusement vidées de leur substance : pardon mais qu’est-ce qui n’était pas clair et pas pertinent dans ces propositions ? Et qu’est-ce qui ne répondait pas au cahier des charges fixé par le Président de la République, au point de mériter sa trahison ?
Au regard du schéma ci-dessous et de l’engagement de la France à atteindre la neutralité carbone d’ici 28 ans, qu’est-ce qui n’était toujours pas clair dans la nécessité de consommer moins de fringues (il n’y a absolument rien de « cool » à la fast fashion, ni chez ses idiots utiles d’influenceurs sur Instagram) et moins de produits animaliers (mais mieux) ? Qu’est-ce qui n’était toujours pas clair dans le bien-fondé de renouveler moins fréquemment nos appareils électroniques (on s’en fiche de l’iPhone cheplukombien, franchement on devrait parvenir à trouver un autre sens à la vie), de voyager de manière plus raisonnée, ou encore d’acheter des voitures à la taille proportionnée à celle du ménage ?
D’ici peu de temps, la publicité pour produits neufs ou nocifs pour l’environnement sera soit jugée ringarde, soit interdite, soit hors-sujet en raison de l’épuisement des ressources. Soit les trois. La publicité respectera notre dignité, elle mettra en scène des imaginaires plus reconnaissants envers les travailleurs essentiels, et des modes de vie plus compatibles avec les limites planétaires. Elle sera pédagogique sur les processus de fabrication et sur l’utilité réelle du produit, et fera la promotion de biens relativement durables.
Nous consommerons moins de viande, mais mieux, dans le respect de nos éleveurs (actuellement écrasés par l’agro-industrie en guise de remerciement) et du bien-être animal. Nous rémunèrerons correctement les éleveurs pour leur travail, nous relâcherons la pression sur l’environnement et nous interdirons de torturer par milliards des êtres sentients qui ne nous ont rien fait.
Nous achèterons peu de vêtements neufs. Ceux que nous consommerons seront issus de matières plus durables et localement disponibles comme le chanvre, la laine et le lin. Nous relocaliserons notre industrie textile en France et cesserons de faire travailler des esclaves Ouïgours qui, eux non plus, ne nous ont rien fait.
C’est utopique, mais je ne me lève pas le matin pour faire perdurer la dystopie actuelle.