Comment j’ai débranché le chauffage, par Loic Cedelle

Loic Cedelle est consultant en transports et mobilité.

Vous avez un frigo A+++, des multiprises pour éteindre les appareil en veille, des LED que vous éteignez dès que vous sortez d’une pièce? C’est très bien. Mais avez-vous vérifié si votre consommation d’énergie a vraiment baissé?

En effet, il faut savoir que tous vos appareils (lampes, frigo, four, télé, ordinateur…) contribuent au chauffage, puisque toute l’énergie qu’ils utilisent fini en chaleur. Par exemple la lumière générée par les lampes et les écrans est transformée en chaleur lorsqu’elle est absorbée par vos murs. Donc, si vous avez un thermostat, tout ce que votre frigo A+++ consommera en moins, vos radiateurs le compenseront en chauffant plus : Le seul paramètre qui compte en hiver est la température à laquelle le thermostat est réglé.

Si vous sentez la chaleur du radiateur, et pas celle des ampoules, c’est juste parce que la quantité d’énergie utilisée par le radiateur est phénoménale. Ainsi, chez moi, j’ai 6 radiateurs de 1500W ce qui fait 9000W. Face à ça, mon frigo fait 90W de puissance maximale (1% de la puissance des chauffages), et mes 25 ampoules LED cumulent à peine 130W au total. Quoi que je fasse avec les lampes, ça aura moins d’effet qu’un seul effleurement du bouton du radiateur.

Or qui dit énergie, dit CO2. Dans le bilan carbone moyen des français, le chauffage est bien le 2ème cavalier de l’apocalypse.

Personnellement, mes chauffages sont électriques. C’est beaucoup mieux qu’un chauffage au gaz ou au fioul car l’électricité française est à 90% décarbonée… mais il y a quand même un problème. Ce problème, c’est qu’en hiver, il y a plus de gens qui veulent de l’énergie que ce que les moyens décarbonés peuvent fournir. Par exemple à l’heure où j’écris ces mots, dimanche 6 mars, l’application éCO2mix m’informe que les centrales à charbon françaises sont allumées et produisent une puissance de 600MW électrique. Les centrales au gaz sont allumées également, pour 3600MW. Et en plus nous importons 2000MW d’electricité des pays voisins. A chaque fois que la demande dépasse la capacité de production de nos moyens décarbonés (donc en gros à chaque fois qu’il fait froid), chaque kwh demandé en plus correspond à un kwh fossile à produire en plus.

La première solution qui vient en tête pour diminuer la consommation du chauffage, c’est l’isolation des bâtiments. D’ailleurs si vous êtes propriétaire et si vous avez l’argent pour entourer votre logement de 30cm d’isolant, allez-y sans hésitez.

Pour ma part, j’habite dans un bâtiment construit en 1650, certes amélioré par 5cm de laine de verre, mais avec encore beaucoup de ponts thermiques. J’envisage d’améliorer l’isolation mais les contraintes patrimoniales font que le bâtiment ne sera jamais très performant.

J’ai donc eu une autre idée en voyant un manuel pour habiller les nouveaux-nés en fonction de la température: si le bébé peut supporter, à confort égal, toutes les températures entre 16° et 27°, pourquoi les adultes ne pourraient-ils pas faire pareil?

J’ai donc décidé d’arrêter (entièrement) le chauffage chez moi et de m’habiller en fonction des températures, plutôt que de fixer la température en fonction de comment je m’habillais.

J’ai appréhendé l’habillement exactement comme si j’isolais un bâtiment. Mot d’ordre: la chasse au pont thermique. Ca ne sert à rien d’ajouter de l’isolant dans un endroit déjà isolé si toute la chaleur passe par le pont thermique à coté.

Premier pont thermique identifié: les chaussettes trop fines. Mes chaussettes fines en laine pèsent 45g. Je les ai remplacé par des chaussettes épaisses en laine, pesant 170g. En théorie j’ai donc multiplié par 4 la résistance thermique de mes chaussettes. En pratique,j’ai trouvé que ce changement de chaussettes n’avait vraiment que du positif. En dessous de 20°C on est beaucoup mieux avec des chaussettes épaisses et il n’y a à peu près aucun inconvénient.

Deuxième pont thermique : le pantalon. En y réfléchissant, il est clair qu’un jean de 1 à 2 millimètres de coton n’isole absolument rien. Par contre, ajouter un collant « thermique » sous le jean change fortement les choses. Visuellement ça ne fait aucune différence et ça n’impacte absolument pas les mouvements. Il faut juste y penser le matin, à partir de début novembre, dans sa routine d’habillement. Ce blog explique d’ailleurs que mettre un collant sous son pantalon est équivalent, thermiquement, à 1,5°C de température de l’air en plus. Je confirme que je suis mieux à 18°C avec un collant qu’à 19°C sans.

Troisième pont thermique: les vêtements trop lâches. S’il y a des courants d’air, l’air chaud contre la peau va partir à chaque mouvement. C’est pourquoi le « sweat-shirt », qui isole très mal et n’est pas ajusté, est à ranger au fond du placard à partir du mois d’octobre.

Une fois les 3 ponts thermiques réglés, on peut s’intéresser à la résistance thermique du pull. Bizarrement je n’ai trouvé aucun indicateur normalisé de la résistance thermique d’un pull. J’ai quand même fini par comprendre 2-3 choses, notamment que les matériaux constitués de fibres sont plus fines isolaient mieux. Le meilleur isolant pour un pull, c’est donc la laine de mouton mérinos dont les fibres de 15 microns sont 3 fois plus fine que celles des laines classiques. En deuxième, certaines laines à fibres un peu plus épaisses, mais creuses (par exemple la laine d’Alpaga). En troisième, la laine standard ou la fibre « polaire » synthétique sont a peu près équivalentes, mais la laine va mieux gérer l’humidité. Enfin, les fibres de coton ou de lin n’isolent pas bien et sont à garder pour l’été.

J’ai donc cherché un pull en laine mérinos puisque c’est le matériaux le plus isolant. J’en ai trouvé au comptoir irlandais (quai saint Antoine à Lyon) et j’ai pris le plus épais, pesant environ 700g. Plus épais = plus isolant. J’avais déjà un pull en laine mérinos, acheté sans trop me poser de questions thermiques : il pesait 250g. En théorie mon nouveau pull est 2,8 fois plus isolant. En pratique, avec le pull en mérinos, le collant sous le pantalon, les chaussettes épaisses, à 17°C le confort est très bon.

Pulls Aran en laine Mérinos, photo Le comptoir irlandais

La marque Française Henjl fait aussi des pull en mérinos de 700g (modèles Grip, Melvin), mais je n’ai pas essayé.

Comme la température continuait à descendre à raison d’un degré par semaine, j’ai sorti des placards mes vétements « techniques » de rando. J’ai un T-shirt manches longue moulant, également en laine mérinos, qui se met contre la peau, sous le pull. Les vêtements techniques modernes en laine mérinos sont vraiment très confortables et doux. Grâce au fait que les fibres sont 3 fois plus fines que celles de la laine classique (et donc plus flexibles lorsqu’elles touches la peau), il n’y a absolument aucun effet de picotement. Sinon, les « premières couches » en tissus synthétique qu’on trouve à Décathlon ou Damart marchent bien aussi et sont beaucoup moins cher.

T-shirt en laine mérinos grammage 260, photo Icebreaker

Enfin, à partir de 16°, on remarque que le cou est un vrai pont thermique et qu’une petite écharpe apporte un confort supplémentaire. Pour l’intérieur ma préférée est une écharpe fine et légère (120g) en laine d’Alpaga. Pour l’écharpe je trouve que la laine fait vraiment la différence par rapport à du coton ou du polaire en termes de chaleur et de confort.

Avec tout ça, je suis plutôt plus confortable à 15° avec mes nouveaux habits, qu’à 19° avec mes habits d’avant. L’important, ce n’est pas la température de la pièce, c’est la température du corps et elle n’est de toute façon ni à 15° ni à 19° mais bien à 36-37°.

Il faut aussi noter qu’en réalité il y n’y a que 2 situations possibles: soit on est « actif » : cuisine, aspirateur, rangement… et dans ce cas là on n’a pas froid à 15°C. Soit on est « inactif » (ordinateur, télé, dodo) et dans ce cas là on risque d’avoir froid… mais on peut se couvrir! C’est sur ce constat que j’ai fait l’acquisition d’un plaid en laine de Mohair, toujours au comptoir irlandais de Lyon. Le plaid reste sur le canapé, toujours disponible pour couvrir mes moments d’inactivité. C’est extrêmement efficace.

Photo Le comptoir Irlandais.

Le Mohair est aussi une laine aux fibres très fine. Ce plaid de marque Avoca est beaucoup plus chaud que mon autre plaid qui est 50% acrylique 50% laine

D’ailleurs, saviez-vous que la température « de confort » d’après la norme NF X35-203/ISO 7730 pour un « ateliers avec un activité physique soutenue (manutention manuelle par exemple) » est de 14 à 16 °C ? Oui, la même norme qui dit qu’un bureau doit être entre 20 et 22°C. On voit bien que la température de confort dépend de l’activité qu’on mène… et, c’est une évidence, aussi des habits qu’on porte. J’ai vu des gens demander à monter le chauffage alors que nous étions ensemble dans une salle de réunion déjà à 23°C d’après le thermomètre. Apparement quand on n’a pas les bonnes chaussettes, même 23° peut paraître un peu frais…

Revenons chez moi : la difficulté réelle de tout cela, c’est que bien s’habiller, ça marche… mais il peut toujours arriver de faire une erreur d’isolation et de ce rendre compte d’un coup qu’on a un peu froid. Et c’est embêtant car avec un air à 13°C, remonter le corps à la bonne température prends un peu plus de temps. C’est là qu’interviennent 3 solutions élégantes et surtout efficaces :

  • Le plus simple : je fais bouillir 1,5L d’eau et je met la bouillotte sous le plaid contre moi. Mon corps retrouve sa température agréable en quelques dizaines de secondes, ça marche extremement bien. On ne fait pas plus efficace comme utilisation ciblée de l’énergie.
  • Je peux aussi boire un thé chaud. C’est un peu comme mettre une bouillotte à l’intérieur. La bouillotte reste néanmoins plus efficace je trouve.
  • Enfin, si l’envie m’en prends, je sors mon tapis de gym et je fais 10 minutes de gainage et d’abdos. ça marche encore mieux que la bouillotte pour diffuser une chaleur douce dans tout le corps. ça demande évidemment d’avoir 10 minutes de disponible, mais à mi-journée de télétravail, un pause active fait du bien à tous les niveaux.

Avec tout ça, j’ai pu passer l’hiver sans chauffage. La température est gentiment descendue jusqu’à 11°C debut janvier, avant de remonter à partir de fin janvier.

Le dernier pont thermique est la tête et les oreilles, mais il y a un gros tabou culturel vis-à-vis du bonnet en intérieur. J’ai fini par faire sauter ce tabou un après-midi de télétravail par 11°C et j’ai trouvé ça plutôt bien. Soyons rebelles, au moins de temps en temps.

Eminem ose mettre un bonnet en intérieur, alors pourquoi pas moi?

Tout ça a l’air extrême au premier abord, mais il faut rester objectif. Ce n’est pas un retour au moyen-âge : le double vitrage à gaz argon et joints silicones, l’eau bouillante à volonté, etc, font déjà une grosse différence avec l’époque où les mêmes fenêtres étaient en papier huilé et où la Saône gelait en hiver. Il ne faut pas non plus confondre avec la situation, réellement extrême voire dangereuse, de personnes qui dorment dans des tentes humides par -5°C avec des habits de fortune. Ici on parle d’une situation de sobriété controlée, sèche, 16 degrés plus chaude, avec tout l’équipement nécessaire pour rester confortable.

Aujourd’hui le 6 mars il fait 16,5°C dans mon salon. J’écris, assis, je n’ai ni plaid ni bouillotte ni je n’ai même pas besoin de mon plus gros pull: en fait j’ai l’impression que l’hiver est fini et qu’il fait bon. En plus de l’effet habillement je constate donc qu’il y a un effet très net d’habituation (en tout cas tant qu’on parle de variation de quelques degrés seulement). J’ajoute que je suis normalement plutôt frileux: les soirs d’été, quand je prends l’apéro en terrasse chez mes amis en Bretagne, je suis le premier à rentrer à l’intérieur quand l’air extérieur descend sous les 20°C.

J’ai oublié de préciser qu’avant tout, il fallait évidemment avoir une couette bien chaude. Eteindre le chauffage dans la chambre devient alors assez facile. Une couette épaisse fait tellement la différence que j’ai pu constater en décembre que, alors que je dors très bien dans ma chambre à 11°C chez moi, j’ai eu froid dans une chambre d’hotel à 19°C et une couette trop fine.

Finalement, ce que je retiens de cette petite expérience, c’est que mieux s’habiller et chauffer moins permet tout d’abord un meilleur rapport à l’extérieur : sortir dehors en hiver est beaucoup moins éprouvant. Je dirais même qu’il m’arrive moins souvent qu’avant d’avoir froid, puisque je n’ai plus la situation où un passage dehors se prolonge de manière imprévue alors que je n’ai que le millimètre de toile de coton de mon jean entre mes jambes et l’air à 0°C.

La deuxième chose notable, c’est un impact important sur les factures. Après le premier hiver où j’ai significativement baissé le chauffage, Mon fournisseur d’électricité m’a remboursé 856€ de trop-perçu. Apparemment il y avait un écart de 5470kwh entre le dernier relevé de mon compteur et l’estimation de consommation qui servait à établir mes facture et qui était basée sur ma conso des hivers précédents (ou sur des sortes de moyennes, je n’ai pas bien compris).

En tout cas ça a remboursé largement mes achats de vêtements chauds. Certes j’avais déjà des habits techniques de rando; mais même si ça n’avait pas été le cas : un collant thermique coûte 20€, des chaussettes en laine épaisse 20€ (et il existe aussi des chaussettes en polaire qui sont moins cher). Un bon pull en mérinos, entre 100 et 150€, tout comme un plaid en Mohair. Un haut thermique coûte 40€ (100€ si vous le prenez en mérinos) et une bouillotte, 15€. Donc si, pour 2 personnes, j’achète 2 plaids, 1 bouillottes, 2 pulls, 4 collants, 4 hauts thermiques et 8 paires de chaussettes, je suis a peu près à 850€. Vous en connaissez beaucoup des investissements dont la rentabilité annuelle est de 100%?

C’est encore plus frappant si on compare à la moyenne française. Sur le site d’Engie on lit que pour 2 personnes dans un appartement tout électrique de 70m² il faut:

  • 400kwh pour les cuissons
  • 1’600kwh pour l’eau chaude
  • 1’100kwh pour les appareils divers
  • 7’000kwh pour le chauffage

Soit 10’000kwh en tout, représentant 1700€ annuel, dont 70% pour le chauffage. Face à cela, la consommation effective de mon foyer de 2 personnes est de 2600kwh et 500€/an. Si les chiffres d’Engie sont vrai, ça veut dire que je réalise une économie de -75% représentant 1200€ d’économie tous les ans.

C’est très cohérent avec ce que me dit mon Linky: Les jours où je chauffe (juste le salon) pour recevoir des amis, je consomme 4 fois plus que ma conso habituelle (qui tourne autour de 10kwh/jour). Si je chauffais tout l’appartement et pas juste la pièce à vivre ce serait sans doute encore le double. Je retombe donc exactement sur le chiffre d’Engie: 70% de la consommation annuelle liée au chauffage, dans l’hypothèse de 4 mois chauffés, ça veut dire qu’en hiver le chauffage représente 90% de la consommation d’énergie.

Voilà, j’espère que tout cela vous inspire! Car nous avons une biosphère à sauver et une responsabilité historique à nous retrousser les manches sans attendre.

J’ai déjà plusieurs amis qui sont entrés dans cette démarche de se passer de chauffage et très souvent, en appartement, les pertes de chaleur des voisins suffisent à maintenir l’air à plus de 18°C. Dans une maison c’est différent, mais la stratégie de ne chauffer que la pièce de vie, et pas le reste, peut déjà constituer un gain important d’énergie pour une modification des habitudes qui reste assez faible.

A vous de trouver votre propre voie. Mon conseil reste de commencer par acheter des habits vraiment chauds, puis les mettre… et vous verrez bien ensuite à quelle température vous aurez besoin de chauffer !

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