Il ne me semble pas que ce serait faire preuve de catastrophisme ou de manque d’ouverture d’esprit que de constater que l’approche techno-solutionniste a globalement échoué dans la lutte contre le changement climatique depuis au moins 20 ans, et sur les autres problèmes environnementaux depuis au moins 50 ans. Si une entreprise se voyait fixée comme indicateurs clés de performance ses émissions de gaz à effet de serre, son empreinte écologique, la dégradation des terres, et la perte de biodiversité, qu’elle affichait des résultats aussi calamiteux, et s’entêtait ainsi dans une stratégie idéologique… JAMAIS les actionnaires ne laisseraient l’équipe de direction en place pendant 20 ans, encore moins 50 ans : l’équipe serait renvoyée au bout de quelques mois, et jamais réengagée ailleurs.
L’objectif climatique de +1.5C est fichu, celui des +2C est en bonne passe de l’être… et pourtant les technolâtres continuent de la ramener, tranquilles : croyance au Père Noël, quand il ne s’agit pas carrément de tentative délibérée de semer la confusion. Les années se suivent et hélas se ressemblent, et on trouve toujours de bonnes raisons pour ne rien changer, beaucoup consacrant même plus d’énergie à dénigrer les écologistes qu’à attirer l’attention sur les racines du problème (c’est vraiment louche).
Volontairement ou pas, ils font le jeu des industriels fossiles, qui depuis au moins 45 ans nous mènent en bateau, repoussent l’action climatique par une incroyable diversité de tactiques, et préparent ouvertement la géo-ingénierie solaire.
Pour tenter quand même d’en rire, j’ai récemment lancé auprès de mes communautés LinkedIn et Facebook une campagne de crowd-bullshiting invitant les lecteurs à regarder dans le rétroviseur sur les promesses technologiques non-réalisées. Je remercie tous ceux qui se sont prêtés au jeu. J’ai également reçu des objections constructives, dont j’ai tenté de tenir compte.
En préambule, l’intention ici n’est absolument pas de rejeter la technologie. Nous aurons besoin de technologies pour nous sortir du pétrin, même en faisant un maximum de sobriété. Et il est évidemment plus facile de critiquer devant son ordinateur que d’innover et prendre des risques.
L’idée est d’appeler à la vigilance face aux fausses promesses qui retardent l’action pour la préservation de l’environnement.
1) Article de 2013 : en 2025, les algues feront rouler une voiture sur cinq. Ma foi, il va falloir se dépêcher.
2) Etude de 2014 prévoyant 352.000 bornes de recharge inductives en France en 2020. Le rêve du mouvement perpétuel, ce serait pas beau ça ?
3) Autre exemple classique du mouvement perpétuel, les routes photovoltaïques normandes.
4) 2008 : les routes écologiques et intelligentes. Pendant ce temps, les centrales d’enrobage au bitume pétrolier continuent de tourner.
5) Article de 2012 annonçant des centrales à énergie osmotique commercialisées dès 2015.
Pour rendre à César, et considérer des objections constructives que j’ai reçues, la technologie prend plus de temps que prévu mais avance tout de même, avec une première centrale française qui devrait être mise en service en 2023.
6) Le projet « Ocean Cleanup » lancé en 2013 n’avance pas des masses. En 2018 le projet estimait qu’il pourrait nettoyer 50% du plastique dans les océans d’ici 2023.
Il va vraiment falloir se dépêcher parce que ça fait 9 ans que je balance exprès des bouteilles en plastique à la mer afin de soutenir ce projet et lutter contre l’obscurantisme vert.
Pour rendre de nouveau à César, et considérer des objections constructives que j’ai reçues, le projet se poursuit et avance.
7) Capture de CO2, plus de 20 ans de promesses et… ouais non toujours pas.
8) Fusion nucléaire, combien de fois a-t-on annoncé que « pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à produire plus d’énergie que leur combustible n’en a absorbé » ? En tous cas ce fut déjà annoncé en 2014.
Et en réalité, l’annonce récente de la NIF n’a pas grand-chose d’une percée.
9) Nucléaire encore. EPR de Flamanville : il devait être mis en service en 2012. En 2019 la mise en service était estimée pour 2022. Aujourd’hui, ce sera plutôt 2024 (au mieux)… pour s’arrêter peu après pendant 5 mois, pour remplacer le couvercle de la cuve.
10) 2014, des chercheurs chinois travaillent à mettre au point un micro générateur capable de produire de l’électricité à partir des frottements. Qu’est-ce qu’on n’inventerait pas pour récupérer des subventions de recherche…
11) Qu’est-ce qu’on n’inventerait pas pour récupérer des subventions ? Eh bien l’hydrogène à toutes les sauces pardi ! Un « échec total« , le « fantasme » de la politique du Japon ne fait « rien » pour la décarbonation, d’après un rapport de l’Institut des Energies Renouvelables du Japon. Des milliards de dollars dépensés depuis 1 ans par le gouvernement japonais pour subventionner des stations de recharge et des véhicules hydrogènes beaucoup plus chers que leurs homologues électriques, dont le rendement est par ailleurs nettement supérieur. Là déjà, de base, c’est pour le moins questionnable. Et sans surprise, le décollage des voitures à hydrogène est famélique.
Attendez ce n’est pas terminé : « réalisant que sa stratégie en matière d’hydrogène était au point mort, le gouvernement japonais a changé d’orientation vers la co-combustion d’hydrogène et d’ammoniac dans les centrales thermiques existantes », indique le rapport, soulignant que la plus grande compagnie d’électricité du Japon, JERA, prévoit la co-combustion de 20 % d’ammoniac avec 80 % de charbon à partir de 2023.
Clap clap clap clap clap…
12) Hydrogène toujours. Qu’est-ce qu’on n’inventerait pas pour récupérer des subventions ? Eh bien l’avion à hydrogène pardi ! Et si cette idée de Shadoks ne marche pas (en vrai personne au sein de l’industrie aéronautique ne prend ce truc au sérieux) l’excuse d’Aribus est toute trouvée : « c’est la faute à l’écosystème« . Boeing est plus honnête, fait état de nombreux freins techniques, et annonce qu’il ne faudra pas compter sur cette technologie avant au moins 2050 (sans blague…).
13) Aviation toujours. En 2009 IATA (Association Internationale du Transport Aérien) disait : « L’IATA est résolue à utiliser 10% de carburants alternatifs d’ici à 2017 et pense que la solution la plus prometteuse en matière de réduction des émissions de carbone de l’aviation se situe du côté des biocarburants. »
13 ans plus tard on est à 0.05% (tant mieux, car pas sûr que les biocarburants soient très « durables »).
14) Projet Hyperloop d’Elon Musk, no comment.
15) Voiture autonome, article récent du Monde : « Au total, d’après l’agence Bloomberg, 75 milliards de dollars ont été investis dans des programmes de mise au point de véhicules autonomes, essentiellement de la part de constructeurs américains et de firmes allemandes. Pour des résultats dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils tardent à se concrétiser. « Les efforts de recherche et développement autour de la voiture autonome sont colossaux pour des bénéfices qui ne sont pas significatifs. En fait, les constructeurs comprennent que le jeu n’en vaut pas la chandelle », souligne Eric Espérance, spécialiste des questions automobiles au sein du cabinet Roland Berger. »
En 2017 ce rapport annonçait un déploiement à grande vitesse de 20 millions de véhicules électriques autonomes avant 2030 aux États-Unis. Il va décidément vraiment falloir se dépêcher (ou pas, car comme pour d’autres « solutions », il est loin d’être certain que la voiture autonome soit bonne pour l’environnement). Encore un exemple ici.
En revanche, voilà le genre de prévision qui se réalise bel et bien :
le climat dérive
la biodiversité s’effondre
les ressources naturelles s’épuisent bien davantage qu’elles ne se régénèrent
les riches font sécession
Là-dessus on est sur les bons rails. ????
Pour sa toute dernière chance, l’humanité est bien partie pour remettre ses dernières pièces dans la machine à perdre.
C’est comme le piètre joueur de poker qui a quelques petits problèmes d’addiction, a déjà perdu sa maison, et s’apprête à faire tapis avec tout l’argent que sa femme a économisé pour les études des enfants, alors que le mec a un 2 et un 7 dans sa main.