ClimatEnergie et ressources

Climat, sobriété, énergies renouvelables, agroécologie : les faits marquants de 2022

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Vous pouvez retrouver une version vidéo de ces vœux sur YouTube.

Je vous souhaite une bonne année 2023, et du succès dans vos projets. Je vous remercie pour vos encouragements, parfois vos objections constructives. Je suis à environ 35 000 abonnés tous réseaux sociaux confondus (LinkedIn, Facebook, YouTube). Tant que j’ai l’impression d’être utile, et que j’ai le temps, je continuerai ce travail.

Je reviens sur 5 faits marquants de l’année 2022, avec de mauvaises nouvelles sur le climat mais aussi des développements encourageants sur 3 chantiers majeurs pour limiter le chaos : la sobriété, les énergies renouvelables, et l’agroécologie. Trois idées qui pendant longtemps ont été moquées (dommage, beaucoup de temps perdu) mais qui sont en train de s’imposer : je l’observe chez mes clients, dans la communauté scientifique, les médias, le monde économique et politique, la société civile etc.

Dans cette optique, sauf à ce que les extrémistes climatosceptiques, obscurantistes et boucs-émissairistes ne prennent le pouvoir, nous pouvons regarder l’avenir avec un désespoir mesuré. Nos idées sont en train de gagner du terrain. Je regrette évidemment les crises et les raisons pour lesquelles c’est le cas, mais c’était hélas prévisible que les choses se passeraient ainsi (quoi qu’en dise notre Président dans ses vœux… sic…).

 

Premier fait marquant bien sûr, la poursuite de la dérive climatique. Donc voilà, avec chaque année qui passe, sauf à se rabattre vers une certaine extrême droite complotiste et nihiliste, les gens sérieux comprennent que cette histoire de climat, ce n’est pas qu’une cause de bobos qui s’ennuient, c’est une question de sécurité. Le désastre cette année s’est notamment manifesté au Pakistan, en Inde, ou encore, on en parle beaucoup moins, dans la Corne de l’Afrique, qui vit sa pire sécheresse depuis 40 ans, qui risque de plonger 22 millions de personnes dans la famine d’après le Programme Alimentaire Mondial.

Dans une moindre mesure, ça chauffe aussi en Chine, aux Etats-Unis et bien sûr en Europe, où l’on n’a encore rien vu en termes de déficit hydrique.

Pour la suite, en toute vraisemblance, sauf à ce que les climatosceptiques sur CNews et autres idiots utiles des industriels fossiles aient raison, tout cela va s’aggraver. Entre autres joyeusetés, l’Amazonie risque fort de se transformer en savane, et le glacier Thwaites de s’effondrer. Cette année encore les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont battu un record. La stratégie qui domine le monde pour diminuer ces émissions est d’espérer que les énergies renouvelables, de moins en moins couteuses (il est vrai), « poussent les énergies fossiles hors du marché ». Rien n’est planifié pour la sobriété ou pour concrètement garantir de diminuer les niveaux de consommation d’énergies fossiles.

Or rien qu’avec les infrastructures fossiles déjà engagées, on explose notre budget carbone.

J’aimerais être plus positif, et je le serais si les faits étaient l’inverse de ceux que je viens d’énoncer, malheureusement ce n’est pas le cas.

 

Deuxième fait marquant, on se rappellera de 2022 comme l’année d’une première victoire historique pour la sobriété ! Je le dis sans naïveté. Cette victoire est à relativiser comme nous allons le voir. Je ne me prononcerai pas sur la sincérité d’Emmanuel Macron lorsqu’il a parlé de « fin de l’abondance », mais après nous avoir méprisés et qualifiés de « Amish », ce n’est pas rien, c’est même un signe fort. Nous pouvons savourer cette petite victoire, elle est propre, sans avoir eu à recourir au mensonge, ni à la violence.

Je l’observe aussi chez mes clients, plus généralement dans le monde énergétique et économique, et dans les médias que le concept de « sobriété » est en train de se diffuser assez rapidement. Encore une fois, je regrette les raisons pour lesquelles c’est le cas, mais à nouveau, il n’y a pas grand-chose de surprenant. Il y a des raisons conjoncturelles mais aussi des raisons structurelles à cela :

  • Le pic de production de pétrole conventionnel depuis environ 2005, et l’état de l’industrie américaine de pétrole non-conventionnel, c’est structurel.
  • Le fait que le marché du raffinage en Europe ne soit pas attractif pour les compagnies pétrolières et qu’on importe une part croissante de notre diesel, c’est structurel.
  • La division par 3 de la production de gaz naturel en Union Européenne depuis 2010, c’est structurel. Par ailleurs la crise du gaz avait commencé plusieurs mois avant la guerre en Ukraine.
  • « L’effet falaise » du parc nucléaire ancien, comme annoncé par RTE, et les efforts croissants de maintenance, c’est structurel.
  • La baisse de production d’hydroélectricité en raison de la fréquence et l’intensité accrue des sécheresses, avec 15% de moins en Union Européenne cette année, alors qu’on n’est qu’en 2022, et non pas en 2050, c’est structurel.

Bref, s’il n’y avait pas tous ces éléments, les crises conjoncturelles seraient absorbées assez facilement.

Du côté des bonnes nouvelles, c’est que dos au mur, nous faisons preuve de beaucoup de réactivité en termes de sobriété et d’efficience. Il y a de quoi regretter tous ces gaspillages qui étaient évitables pendant tout ce temps, mais c’est comme ça.

Alors d’abord un bémol : beaucoup d’industriels réduisent leur production voire mettent la clé sous la porte. Ça ce n’est pas de la « sobriété », c’est juste de la faillite. Des chefs d’entreprise sont d’ailleurs venus témoigner de leur détresse sur mon post, et traversent de grosses difficultés. Donc un peu de décence s’il vous plait au niveau de l’auto-satisfaction et de la fanfaronnade par le gouvernement. Notamment, nos politiques ont échoué à appliquer un contingentement et un rationnement intelligent de l’énergie qui aurait permis de protéger nos industriels et entreprises, notamment ceux d’importance vitale. J’ai exprimé ce regret dans un article en octobre, où j’ai partagé un scénario prospectif sur le rationnement que j’avais écrit pour le compte d’un énergéticien.

Une fois qu’on a dit cela, la baisse de consommation de gaz et d’électricité chez les entreprises du tertiaire et chez les ménages est très marquée, de l’ordre de 10-15%, corrigés des variations climatiques, et ce malgré le bouclier tarifaire protégeant les ménages, qui n’ont donc pas fait tout ça que pour l’argent. Il y a donc eu de grosses économies dans un temps très court, c’est historique. On peut s’en féliciter, et appeler à pérenniser cette tendance, qui va dans le sens de notre sécurité énergétique collective sur le long terme.

Un autre bémol de taille tout de même : certes avec le bouclier tarifaire les ménages sont protégés et a priori choisissent cette « sobriété ». Cependant on peut imaginer que la hausse des prix sur d’autres produits, alimentaires notamment, incite les ménages, surtout les plus démunis, à tailler dans leur consommation de chauffage.

Par ailleurs beaucoup de ménages anticipent le recul du bouclier tarifaire en 2023.

Donc la chose est au moins en partie subie, et les efforts portés de manière disproportionnée par les plus précaires.

Il ne faut pas être naïf sur les injonctions à la sobriété : on observe hélas qu’on ne change de comportement que lorsqu’on touche au portefeuille. Par exemple, des millions de Français suivent sur les réseaux sociaux des comptes (dont mon petit compte) appelant à réduire le trafic aérien. Des centaines de milliers, typiquement dans la cible, mettent des likes. Au vu des proportions, cela devrait se traduire au moins un peu dans les choix individuels, surtout une année comme celle-ci.

Eh bien non.

Les injonctions ont au mieux un effet nul. S’il en est ainsi, il faut que les incitations à la sobriété soient socialement équitables, et organisées, plutôt que laisser passivement l’inflation massacrer les plus pauvres.

 

Troisième fait marquant : la sécheresse en France et ailleurs a frappé des ménages, des industriels, mais aussi et surtout les agriculteurs. Si l’on peut malgré cela y voir une possibilité de sortie par le haut, c’est qu’à entendre certains échos du monde agricole, cela pourrait accélérer la transition agroécologique, qui permet de rendre les sols plus résilients face aux sécheresses et inondations, mais aussi de faire des économies sur les intrants dérivés du pétrole et du gaz, de faire revenir de la biodiversité, et de séquestrer du carbone dans le sol (avec un potentiel significatif d’après le GIEC, j’ai publié un petit article sur le sujet en mai, que je vous met en lien).

Il est difficile de trouver des statistiques, d’autant plus que « l’agroécologie » est un terme qui recouvre beaucoup de théories et de pratiques diverses, et où il n’y a pas de dogmes sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Néanmoins, après recherche, j’ai partagé récemment une publication de l’Agreste, qui indique que les pratiques agroécologiques sont en train de se généraliser. Par exemple, la couverture permanente des sols et le non-labour sont en train de passer à grande échelle, et le semi-direct en train de décoller. Les choses bougent, il faut encourager nos agriculteurs, et notamment augmenter leurs rémunérations pour services écosystémiques rendus.

Le monde agricole dit aussi de plus en plus qu’il va falloir « changer certaines pratiques, notamment interroger la pertinence de certaines cultures inadaptées au climat de demain ». Je vais être plus clair : d’après la filière Semences, en Europe de l’Ouest, la totalité du maïs ensilage et environ 80 % du maïs grain sont utilisés pour l’alimentation animale. D’après la filière porcine, en France, 95% des porcs sont élevés en bâtiment sur caillebotis..

Donc s’il vous plait, il faut arrêter les cultures qui aggravent la tension sur l’eau, le tout pour nourrir des animaux qui souffrent, enfermés dans des espaces minuscules (qui plus est le porc est, après le singe, l’animal le plus proche de nous génétiquement), et dont les déjections entrainent non seulement les algues vertes, mais plus gravement et tout simplement la mort de la vie dans les eaux côtières, par eutrophisation de l’eau.

 

Quatrième fait marquant, l’accélération du déploiement des ENR. J’en ai beaucoup parlé récemment, en appelant notamment à ne pas tirer sur l’ambulance ! La pertinence des ENR pour les prochaines décennies ne fait plus de doute dans les milieux scientifiques, politiques, et industriels partout dans le monde. Même en France l’Association Les Voix du Nucléaire parle des ENR intermittentes comme « énergie de transition », le temps de réussir la relance du nucléaire qui porterait ses fruits à partir des années 2040-2050. En attendant, il faut bien faire quelque chose. Et il n’y a guère plus que les sectes de type Valeurs Actuelles et Contrepoints pour dire que les renouvelables sont une « religion écolo ». Il faut un peu sortir de votre bulle Messieurs, même l’extrême droite ailleurs en Europe mise sur les renouvelables, comme en Italie par exemple.

Parmi les modérés avec qui il est possible de dialoguer, je comprends quand même de moins en moins l’acharnement à marteler les inconvénients des ENR, dont nous sommes à peu près tous au courant maintenant (l’intermittence, et les besoins en matériaux critiques). Or nous avons tous intérêt, au vu des délais impartis et des dynamiques respectives des différentes technologies bas-carbone, à ce que le pari des ENR fonctionne un minimum.

Le système énergétique futur de l’Europe prend forme. L’Europe est la bonne échelle d’analyse, puisque les réseaux d’électricité et de gaz sont interconnectés.

On a parfois l’image romantique d’un futur système énergétique très décentralisé avec panneaux solaires sur les toits, géothermie, pompes à chaleur, V2G, effacement etc. C’est en partie juste, et les usagers vont avoir un rôle croissant à jouer dans la production d’énergie et la stabilité du réseau.

Mais d’abord, il y aura aussi encore du nucléaire, même si la France a des difficultés, et que les autres pays européens nourrissent peu d’ambition en la matière.

Ensuite, il y aura de nouvelles grosses capacités de production centralisée, l’éolien offshore étant le meilleur exemple (notamment en mer du Nord). Si je collecte les dernières annonces sur les objectifs européens à 2030, on serait à 145 GW installés. Le tout avec des interconnexions européennes appelées à nettement se renforcer (ce qui limitera les risques d’instabilité du réseau, et par ailleurs les risques de replis nationalistes nauséabonds, puisque les peuples européens continueront de dépendre les uns des autres et de commercer ensemble).

Ces 145 GW d’offshore représenteraient une production d’environ 570 TWh dès 2030, soit l’équivalent de 18% de notre consommation actuelle d’électricité en Europe, Royaume-Uni et Norvège compris. C’est loin d’être négligeable.

Plus généralement, au train où vont les choses les énergies variables, éolien et solaire, pourraient passer de 24% de l’électricité de l’UE aujourd’hui à plus de 50% dès 2030, ce qui suppose une adaptation extrêmement rapide en termes de flexibilité… je ne sais pas encore s’il faut être enthousiaste ou effrayé, en tous cas ça va venir très vite, il y a des solutions intéressantes en matière de flexibilité, et on verra bien.

 

Cinquième et dernier fait marquant, les 50 ans du rapport Meadows ! Lisez-le, c’est passionnant et clairvoyant. D’ailleurs les auteurs y parlent d’agroécologie, de modération et de sobriété, d’énergies renouvelables, d’innovation technologique, d’efficience, mais aussi de démocratie, d’émancipation des femmes et des hommes, ce qui favorise la transition démographique.

Tout cela rien à voir avec les caricatures que font ceux qui n’ont manifestement pas lu ce livre.

En plus du rapport Meadows, je vous conseille un autre livre que je suis en train de terminer : The Collapse of Complex Societies, par Joseph Tainter, qui tente de comprendre les effondrements passés, et qui intègre la question de l’énergie nécessaire pour nourrir la complexité.

Parmi les nombreuses réflexions que m’inspirent ces œuvres, en voici une que je vous partage en conclusion :

  • Le « budget énergétique » de l’Europe est orienté à la baisse, ce sera vraisemblablement tôt ou tard le cas ailleurs dans le monde, même si les ENR relancent un peu le suspense. Quoi qu’il en soit, il faut considérer que notre budget énergétique puisse être chroniquement orienté à la baisse.
  • Une part croissante de ce budget énergétique va devoir être consacrée à aller chercher de l’énergie, notamment avec le Taux de Retour énergétique des gisements pétroliers qui diminue.
  • Une part croissante de ce budget énergétique va devoir être consacrée à avoir des métaux, de plus en plus dilués dans la croute terrestre. Des métaux utiles à la transition énergétique, mais pas que, loin s’en faut.
  • Une part croissante va devoir être consacrée à avoir de l’eau (la pomper, la dessaler, l’acheminer, la dépolluer).
  • Une part croissante va devoir être consacrée à nous adapter au changement climatique.
  • Une part croissante va devoir être consacrée à la maintenance du gros système que nous avons érigé (nos bâtiments, nos infrastructures), ne serait-ce pour éviter que tout ne s’écroule.
  • Et manifestement, les plus aisés ont envie d’y consacrer une part croissante pour se divertir.
  • Dernier exemple, les Etats ont de plus en plus besoin de s’endetter pour maintenir un niveau de service public de qualité équivalente, voire dont la qualité diminue.
  • Plus généralement, il va falloir consacrer une bonne part de nos ressources (énergétiques, financières, humaines) non pas pour faire de la croissance, mais pour éviter de décliner.
  • Jadis, il était très peu couteux d’obtenir des gains significatifs (par exemple en termes d’espérance de vie, de sécurité alimentaire, ou plus récemment de numérisation de l’économie). On investissait peu et on obtenait beaucoup. Aujourd’hui, il devient très couteux d’obtenir ne serait-ce des gains faibles, voire même couteux d’éviter que le système ne s’effondre.

C’est ce que Tainter appelle le retour marginal décroissant sur l’investissement dans la complexité. Ce sont des phénomènes que vous observerez un peu partout autour de vous, et un schéma récurrent dans l’histoire qui explique, selon Tainter, l’effondrement de sociétés complexes comme l’Empire Romain.

Sur ces bonnes paroles, je vous dis à bientôt 😊 !

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