Gaz : quels enjeux et risques d’approvisionnement en France ?

Quels sont les enjeux et risques d’approvisionnement gazier à court terme et à long terme en France ? A la suite d’un échange instructif avec un acteur gazier, il m’est apparu intéressant de transmettre les observations qui suivent (relues par mon interlocuteur).

Premièrement, le risque gazier pour la France porterait actuellement sur le prix, plutôt que sur les volumes. Cela s’est clairement observé en 2022, et il devrait en rester ainsi pour les années qui viennent. La France dispose de terminaux méthaniers en première ligne pour réceptionner du Gaz Naturel Liquéfié (GNL), et elle est loin d’être la plus touchée par l’arrêt des approvisionnements russes, qui constituaient entre 12% et 18% de ses importations de gaz selon les années.

Deuxièmement, les prix très élevés de 2022 ont fait baisser la demande de manière importante. La baisse des volumes est historique, de l’ordre de 10-15% depuis octobre, à travers l’industrie, le tertiaire et le résidentiel. Le risque porte surtout sur la capacité à protéger les entreprises et les ménages les plus fragiles face à la hausse des prix. Les entreprises « essentielles » et gazo-intensives (ex. fabricants d’engrais) sont identifiables, ainsi que les ménages en situation de précarité énergétique, et doivent être soutenues. Pour le reste, nous observons dans un délai très court des réductions significatives de consommation, par les gains d’efficience et par la sobriété. Lorsque cela leur était possible, les entreprises et les ménages ont fait preuve de réactivité.

Troisièmement, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) transporté par bateau apporte de la souplesse d’approvisionnement en fonction des prix, ce qui est leur principal intérêt par rapport aux systèmes de pipeline, beaucoup plus « captifs » et rigides. Certains analystes considèrent comme un risque le fait de ne pas avoir contractualisé des volumes importants d’approvisionnement en GNL sur le long terme. Or les livraisons GNL réalisées en Europe et en France en 2022 n’ont pas de rapport avec les contrats signés à fin 2021. L’Europe en 2022 a signé de nombreux nouveaux contrats de GNL de manière imprévue. Ainsi, ne pas avoir de contrats aujourd’hui ne signifie pas qu’il n’y aura pas de livraison à court terme. Enfin, la signature de contrats majeurs de GNL sur le long terme pour l’Europe pour couvrir les niveaux actuels de demande n’apparait pas nécessaire dans la mesure où la demande est destinée à baisser. La contractualisation à long terme a davantage de sens pour un pays comme la Chine, dont la demande est croissante, et dont l’incertitude sur le niveau exact de hausse de la demande justifie effectivement la sécurisation de contrats sur le long terme.

Cela renforce d’autant plus l’idée que la déplétion naturelle des énergies fossiles sera loin de suffire à l’atteinte de nos objectifs de réduction des émissions de CO2. Il est nécessaire d’être beaucoup plus proactif dans la sortie des énergies fossiles.

Quatrièmement, les perspectives de notre futur approvisionnement gazier doivent intégrer les gaz renouvelables et bas carbone, principalement le biométhane (méthanisation mais également pyrogazéification et gazéification hydrothermale), ainsi que l’hydrogène et le power-to-methane. L’apport du biométhane sera déjà important à moyen terme : la loi (LTECV 2015) prévoit déjà que l’équivalent de 10% de nos besoins gaziers à 2030 soit assurés par des gaz renouvelables, objectif en bonne voie d’être atteint mais qui pourrait être facilement dépassé si l’ambition et la volonté politique sont là, car la production est en croissance rapide, avec déjà une production de ~7 TWh constatée en 2022 et prévue à ~12 TWh par la CRE pour 2023.

En 2021, dans sa vision pour le biométhane, l’ADEME estimait la production de biométhane en 2050 entre 100 et 180 TWh/an selon les scénarios envisagés. A ce volume, il faudrait ajouter l’hydrogène (entre 35 et 95 TWh selon les scénarios) et le power-to-methane (jusqu’à 40 TWh), voire, dans certains scénarios, du gaz naturel avec captage et stockage du carbone. Ces productions seraient suffisantes pour couvrir des besoins qui sont vus en baisse par rapport à la consommation actuelle de gaz, qui est d’environ 450 TWh. Les points de vigilance sur le biométhane concernent la disponibilité du gisement (déchets de biomasse), les conflits d’usages (ex. fumier également utile comme engrais) et les risques de pollution des sols par les digestats.

Enfin, certains discours sur le rôle futur du gaz dans la stabilisation du réseau électrique, dans un contexte de pénétration croissante d’énergies variables (éolien et solaire), apparaissent exagérés. Des chiffres circulent parfois dans le débat public estimant un besoin de 30% voire 40% de gaz dans un mix électrique qui serait fortement basé sur les énergies renouvelables variables, pour compenser leur intermittence – perspective qui apparaît alors comme un repoussoir. Plusieurs précisions apparaissent utiles :

  • Toutes les énergies renouvelables ne sont pas variables (hydraulique, biomasse, géothermie…).
  • Le gaz ferait en effet partie du « bouquet de flexibilités » permettant de compenser la variabilité croissante des sources d’électricité, au même titre que le stockage dans des batteries, la flexibilité de la demande, et à un degré moindre le vehicle-to-grid.
  • Le gaz serait autant que faire se peut du gaz bas-carbone (ex. biogaz, hydrogène…), et non du gaz fossile.
  • Dans un pays comme la France, les capacités installées de gaz seront potentiellement plus importantes qu’aujourd’hui, mais tourneront peu sur l’année, servant surtout pendant les périodes les plus tendues (quand un épisode de vent et d’ensoleillement faibles coïncidera avec des besoins d’électricité importants). On parle ici d’une solution dont le coût d’investissement est relativement faible, le coût de fonctionnement relativement élevé, et qui constitue une variable d’ajustement et une assurance pour le système électrique.
  • Un nombre croissant de simulations et d’études scientifiques portant sur des systèmes « 100% renouvelables » (à nouveau, à ne pas confondre avec « 100% variable ») estime une contribution de plus en plus minime du gaz au mix électrique futur (en énergie annuelle mais pas en puissance).

Merci pour votre lecture.

Cyrus Farhangi

PS : merci de ne pas confondre mes convictions personnelles avec mes travaux de recherche et de vulgarisation. Si j’étais omnipotent, la « transition énergétique », et plus généralement la réponse de l’humanité au problème environnemental, se passeraient très différemment. Il y aurait notamment, en complément du soutien à la technologie :

Tout cela se fait déjà dans une certaine mesure, doit se faire démocratiquement, et n’a rien de liberticide ni de punitif.

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