Paléoclimatonégationnisme : ça ne s'arrange pas, mais ça permet de réviser de la paléoclimatologie !

"Il y a 445 millions d'années (Ordovicien Silurien) et 145 millions d'années (Jurassique-Crétacé) la concentration atmosphérique de CO2 était 5-10 fois supérieure à aujourd'hui, et pourtant il y a eu glaciation ! La preuve que le CO2 n'a rien à voir avec le réchauffement !

De toute façon heureusement que l'homme est là pour remonter les niveaux de CO2, car le CO2 c'est bon pour les plantes et depuis quelques dizaines de millions d'années la planète était en train de crever par manque de CO2.

Et heureusement que le climat se réchauffe car il faisait de plus en plus froid depuis des dizaines de millions d'années comme on le voit sur ce graphique, et on fonçait droit vers une catastrophe hyperglaciaire !"

Si les algorithmes vous ont fait atterrir sur cette page, c'est que vous n'avez probablement pas peur d'affronter la dure Loi de Pascalprodini, selon laquelle ça prend 30 secondes pour raconter une montagne de bêtises incohérentes avec aplomb (et prendre toute la communauté scientifique pour des andouilles), mais ça prend a minima des dizaines d'heures pour :

  • se taper des gros bouquins et des sites moches, compliqués, souvent en anglais
  • comprendre plus exactement pourquoi les climatosceptiques racontent des bêtises
  • accepter que les climatologues ne prétendent pas tout savoir, et saisir la différence entre une démarche de "doute scientifique" et l'approche d'un "marchand de doute"
  • accepter humblement soi-même ne comprendre qu'une minuscule fraction de ce que savent les climatologues
  • expliquer ce qu'on a compris... pour qu'au final tout le monde s'en tape et que les climatosceptiques ne lisent pas

Malgré ce tout dernier point, je recommande fortement la lecture de cette page de Skeptical Science pour faire un tour d'horizon de la paléoclimatologie. Chaque phrase est vraiment passionnante, un bijou de vulgarisation pour le quidam que je suis. L'article permet entre autres de comprendre les dynamiques derrière le refroidissement planétaire progressif ayant eu lieu depuis 50 millions d'années.

Avant tout, vous pouvez retenir qu'outre le taux de CO2 atmosphérique, de nombreux paramètres influent sur le climat sur des échelles de temps plus ou moins longues (ah ça les climatosceptiques aiment bien nous le rappeler, mais sans aller jusqu'au bout de la logique, curieusement) :

  • tectonique des plaques, notamment ses effets sur la circulation atmosphérique (surrection des montagnes) et océanique
  • luminosité du soleil (qui évolue à l'échelle de centaines de millions et milliards d'années)
  • activité solaire (qui évolue sur des cycles plus courts)
  • activité volcanique (émissions réchauffantes de CO2, émissions refroidissantes de dioxyde de soufre)
  • orbite terrestre (excentricité, inclinaison, précession)
  • activité biologique (microbes, cyanobactéries, algues, plantes terrestres...)
  • changement de la couverture des sols et de l'albédo (arbres, sable, rochers, glace...)
  • autres gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d'azote...)

Vous trouverez plein ci-dessous, en grande partie inspirés de l'article de Skeptical Science.

1) Les données de l'Ordovicien sont incertaines, mais elles indiquent que le taux de CO2 atmosphérique était d'environ 2 400 ppm. Or les continents étaient alors configurés très différemment (donc les montagnes aussi), ce qui change tout au niveau de la circulation océanique et atmosphérique. Le soleil était environ 4 % moins brillant qu'aujourd'hui, ce qui change tout au niveau de la quantité d'énergie reçue sur Terre. Tout cela a permis une période glaciaire avec des niveaux de CO2 plus élevés qu'aujourd'hui.

Bref, les climatosceptiques comparent des choux et des carottes. Pourtant ils aiment bien rappeler que le CO2 n'est pas le seul déterminant du climat (merci on était au courant).

2) Le Jurassique et le Crétacé ont connu plusieurs épisodes de chaleur et de froid, le CO2 variant de ~600 à ~1500 ppm en conséquence... or ce n'était pas une période de glaciation.

3) Le refroidissement observé depuis 50 millions d'années s'expliquerait principalement par la tectonique des plaques. Par exemple il y a 36 millions d'années l'Amérique du Sud et l'Australie commencent à se détacher de l'Antarctique, ce qui change tout au niveau de la circulation océanique : les courants atmosphériques et océaniques commencent ainsi à constituer autour de l'Antarctique une barrière à la chaleur, ce qui permet au continent de geler.

4) Il y a quelques millions d'années, le Panama s'est "attaché" à l'Amérique du Sud, ce qui bloque la connexion entre l'Atlantique et le Pacifique, et change plein de choses (ex. constitution du Gulf Stream). Pour aller plus loin sur cet événement majeur.

5) Depuis 2,6 millions d'années, l'alternance entre périodes glaciaires et interglaciaires est principalement gouvernée par les changements de paramètres orbitaux de la Terre (excentricité / éloignement par rapport au soleil, inclinaison, précession... les fameux cycles de Milankovitch).

Les changements de température entrainent, entre autres, des changements du taux de CO2. Ca aussi les climatosceptiques aiment bien le rappeler, mais ils oublient curieusement de rappeler que ce changement de CO2 entraine en retour des évolutions de température, avec à la fois des boucles de rétroactions positives et négatives.

Une boucle de rétroaction positive serait qu'un océan plus chaud capte moins de CO2 atmosphérique, et plus de CO2 atmosphérique entraine plus de chaleur. Une boucle de rétroaction négative serait un changement de couverture nuageuse. Pour aller plus loin.

6) Un autre mécanisme clé (et boucle de rétroaction négative) est l'altération des roches de silicate, qui régule le climat mondial à l'échelle de millions d'années. Lorsqu'il fait plus chaud, l'altération des roches s'accélère, cela absorbe plus de CO2 atmosphérique, ce qui exerce un effet refroidissant. L'inverse se produit lorsqu'il fait plus froid.

Ce mécanisme éviterait, sur le temps long, des épisodes d'emballement complet.

7) Il y a 2,4 milliards, 717, 640 et 580 millions d'années la Terre a traversé des épisodes très froids de "Terre boule de neige". On est loin de tout comprendre, mais une cause majeure serait d'ordre biologique.

Il y a 2,4 milliards d'années, lors de la "Grande oxygénation" par les cyanobactéries, l'oxygène accumulée dans l'atmosphère terrestre a réagi avec le méthane, le principal gaz à effet de serre de l'époque, ce qui aurait mené à une glaciation.

Pour les autres épisodes, une explication plausible serait l'évolution et la diversification de la vie marine non-microscopique, et le renforcement de la "pompe à carbone" des océans.

Comme la Terre était prise dans les glaces, la planète "blanche" renvoyait une plus grande partie de l'énergie solaire dans l'espace (le fameux effet albédo), ce qui renforçait le refroidissement et rendait difficile un réchauffement, même avec des niveaux élevés de CO2.

Une Terre quasi-intégralement recouverte de glace a aussi bloqué le "thermostat d'altération des roches".