Le « pic pétrolier » est-il franchi depuis 2018 ? C’est possible, si l’on s’entend bien sur ce qu’est exactement le « pétrole », et que la tendance se confirme. Je m’intéresse à ce sujet à mon petit niveau depuis une vingtaine d’années, essayant de comprendre les divers avis d’experts. Je sais qu’au cours du 20ème siècle les « peakistes » se sont trompés maintes fois, annonçant même « la fin du pétrole » à une époque où la production mondiale était 20-30 fois inférieure à celle d’aujourd’hui. Cela prête ainsi à rire lorsqu’on continue d’évoquer le sujet : « ça fait 40 ans qu’on nous dit que dans 40 ans il n’y aura plus de pétrole »
Depuis une vingtaine d’années, les peakistes ont eu tort sur certains points, et raison sur d’autres points. Parmi les points sur lesquels ils ont eu tort :
Parmi les points sur lesquels les peakistes ont eu raison :
Au final aujourd’hui le monde ne produit ni 120 millions de barils par jour comme certains le prédisaient, ni 70 millions de barils comme d’autres le prédisaient. On est à environ 100 millions de barils, chiffre qui mérite cependant d’être relativisé, comme nous allons le voir.
Vous entendrez quasiment partout parler d’une production « 100 millions de barils par jour de pétrole ». Or c’est un énorme abus de langage, pour ne pas dire une erreur. Il s’agit de 100 millions de barils par jour « tous liquides », qui se décomposent ainsi aujourd’hui :
Les NGL (Liquides de Gaz Naturel) sont surtout utilisés comme intrants dans les usines pétrochimiques, et à un degré moindre brûlés pour le chauffage des locaux et la cuisson, ou mélangés au carburant des véhicules. Ils servent donc peu à produire de l’énergie.
Les « autres liquides » comme l’éthanol sont essentiellement mélangés au carburant des véhicules.
Si l’on se penche de nouveau sur le graphique d’Art Berman, les « peakistes » vont probablement très bientôt avoir à la fois un peu raison et un peu tort. Ils vont avoir tort car la production « tous liquides » va vraisemblablement, dans les prochains mois, dépasser son record de novembre 2018, à 102 millions de barils par jour (cependant de nombreux analystes, dont Rystad Energy, estiment que la production tous liquides franchira son pic au cours de cette décennie).
Et les peakistes vont peut-être avoir raison car la production de pétrole brut affiche une dynamique différente depuis une dizaine d’années, une reprise post-Covid plus molle. Elle est aujourd’hui environ à son niveau de 2014, elle pourrait ne jamais ré-atteindre son maximum de 2018, et décliner inexorablement. De gros producteurs comme la Russie et l’Arabie Saoudite ont déjà annoncé leur pic de production. La « révolution » du shale oil aux Etats-Unis pourrait (déjà) toucher à sa fin. L’Afrique produit déjà de moins en moins de pétrole depuis une quinzaine d’années. Etc.
Ce constat est renforcé par la diminution du TRE, donc par la quantité croissante de pétrole nécessaire à la production de pétrole. Cela n’accélèrerait pas la descente de manière significative, du moins pas pour le moment, mais vient tout de même égratigner quelque peu l’énergie nette disponible.
La baisse de l’énergie nette disponible est d’autant plus prononcée si l’on tient compte du fait que le contenu énergétique de gisements comme le tight oil du Permien est plus faible que le contenu énergétique du pétrole moyen (là aussi, ça n’accélère pas trop la descente, mais ça vient encore grattouiller un peu). D’après Art Berman, le tight oil du Permien présente un contenu énergétique 7% inférieur que celui du pétrole moyen entrant dans les raffineries américaines.
Enfin, comme la population mondiale augmente d’environ 0,9% par an, l’énergie nette disponible par habitant diminue d’autant plus. Comme une minorité de Terriens aisés augmente encore significativement sa consommation, cela signifie qu’un nombre important de Terriens ont une consommation qui stagne ou qui baisse ; beaucoup subissent cette baisse car on peut raisonnablement supposer qu’il y a encore beaucoup de monde sur Terre qui aimerait, dans l’idéal, consommer plus de pétrole (même si ce n’est pas bon du tout pour le climat).
Alors à ce stade, vous pourrez légitimement vous demander, comme moi, « mais pourquoi n’est-ce pas déjà le bazar au niveau du transport mondial, totalement dépendant du pétrole ? Et comment se fait-il que le transport mondial continue d’augmenter alors que la production de pétrole brut est au même niveau qu’en 2014 ? ».
Bonne question. En effet les émissions mondiales de CO2 du transport augmentaient encore d’environ 1,6% par an entre 2015 et 2019 (depuis 2020 le signal est brouillé, il faut encore 2-3 ans avant de tirer les choses au clair). Ceci peut être comparé avec la hausse +2,1% par an entre 1990 et 2015. La quasi-totalité des transports étant dépendante du pétrole, on peut en déduire que la consommation de pétrole des transports continue d’augmenter assez tranquillement.
N.B : la hausse de 1,6% par an est sur l’ensemble des transports. Le transport aérien est largement au-dessus (autour de +4-5% par an). Les voitures, camions et bateaux seront un peu en-dessous. Cela renforce le point soulevé plus haut sur les inégalités sociales dans l’accès au pétrole.
Poursuivons notre tentative d’explication. Sans pouvoir toujours donner des chiffres précis, voici pourquoi les transports ne sont pas davantage sous tension :
Je continue de penser que sur cette question de pic pétrolier (comme sur bien d’autres comme l’énergie en général, le climat, l’eau, l’agriculture etc… toutes étant bien sûr liées) nous sommes à la croisée des chemins. On parle pour le moment d’un phénomène relativement lent et imperceptible au quotidien, mais qui peut graduellement enliser le système socio-économique, voire peut-être un jour le disloquer rapidement (devenant ainsi très « visible »).
Pour éviter autant que faire se peut un « effondrement » et aller vers une « transformation », les réponses sont, comme toujours, l’innovation technologique, le déploiement des énergies alternatives, l’efficacité énergétique, la réorganisation de nos sociétés, la sobriété et la justice sociale. J’en parle dans d’autres posts LinkedIn et Facebook, mais ce n’est pas le sujet de cet article. J’en parlais pour tenter de finir sur une note positive.
J’espère ne pas avoir fait d’erreur ou d’approximation dans cet article. N’hésitez pas à commenter ou à m’écrire si vous en constatez.
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