Assurer l’habitat quand le climat s’emballe (interview)

Joseph Sournac est co-fondateur du cabinet sinonvirgule qui accompagne les entreprises dans leur redirection écologique. Il a récemment publié une étude, « Peut-on assurer un monde qui s’effondre ? » pour la MACIF, la MAIF et la Caisse des Dépôts. Plus qu’une étude, c’est une véritable expérience immersive par la prospective. Nourrie notamment par les témoignages d’une trentaine de professionnels du monde des assurances.

« Un monde plus chaud de 4 degrés sera impossible à assurer » comme l’évoquait Henri de Castries, PDG d’AXA, en 2015. Nous sommes à +1,2C et les assureurs se désengagent déjà de certaines zones à risque. Au début des années 2000, le secteur des assurances fut le premier à réellement prendre conscience le problème du changement climatique, et avait alerté le reste du monde des affaires sur le risque que cela représentait. Le changement climatique est alors devenu une question économique, et non plus seulement une question scientifique et politique.

« Habituée à être une force de maintien du monde dans un état initial, l’assurance pourrait devenir un agent de la fermeture et de la ruine » – sinonvirgule.

Pour son étude, Joseph a travaillé face à des interlocuteurs avec un certain pouvoir de décision et déjà assez convaincus par les enjeux posés par les bouleversements climatiques, et les risques physiques que cela pose pour le bâti, et donc pour l’assurance habitation : retrait-gonflement des sols argileux, inondations, érosion côtière, tempêtes, feux de forêt… Les assurances auto, santé etc. seront également concernées par le dérèglement climatique et autres limites planétaires, mais l’étude se focalise sur l’habitation.

Le risque devient de plus en plus difficile à calculer

Le métier de l’actuaire est basé sur une analyse du passé pour une analyse du futur, or le changement climatique et autres phénomènes de l’Anthropocène changent complètement les règles du jeu ! C’est un premier effondrement, d’ordre cognitif : celui du socle de connaissances des assureurs. C’est problématique dans la mesure où cela pourrait les amener à sous-provisionner certaines protections et sous-tarifer certains produits d’assurance.

Le coût de l’assurance devient de plus en plus difficile à supporter

Du fait d’une fréquence et d’une intensité accrues des catastrophes naturelles, le coût des sinistres a été multiplié par 3 depuis les années 1980 dans un pays comme la France.

D’ailleurs, il pourrait devenir de plus en plus paradoxal d’assurer contre des risques quasi-certains (ex. si un champ est touché par une sécheresse ou si une maison est touchée par une submersion marine quasiment tous les ans). On assure les biens contre des aléas, or si les catastrophes deviennent trop fréquentes, il n’y a plus vraiment d’aléas.

Les sinistres deviennent de plus en plus difficiles à gérer

Les risques sont de plus en plus « hors cadre » et sortent des protocoles préalablement établis (ex. ouragan Katrina). L’assureur est également un acteur de la gestion du sinistre : expertise, accompagnement d’urgence, soutien psychologique et matériel. Au regard du caractère de plus en plus « hors-cadre », la gestion du sinistre laissera davantage de place à l’improvisation : elle devra bien sûr continuer de se baser sur des principes moraux mais aussi, de plus en plus, sur l’implication des communautés et des savoirs locaux.

Les inégalités d’accès à l’assurance risquent de se creuser

Certains territoires et habitations sont particulièrement exposés et vulnérables, d’autres moins. Pour cela, certains acteurs de l’assurance, notamment ceux ayant un esprit mutualiste et solidaire, cherchent à répartir le risque de manière équitable, ce qui implique que leurs clients relativement peu risqués « surpaient » au bénéfice des clients très risqués, afin que tout le monde puisse continuer d’être assuré. Inversement, d’autres acteurs de l’assurance vont sortir certains risques de leur portefeuille, en cessant d’assurer certaines habitations, ou en appliquant des prix ou des conditions rédhibitoires. Le problème est alors que du côté des acteurs mutualistes, les clients voyant leur prime augmenter sans que cela ne soit justifié par un profil de risque élevé risquent de partir chez les assureurs n’appliquant pas une telle politique, et leur proposant des primes moins élevées. Alors le modèle de répartition des risques des acteurs mutualistes se verrait déséquilibré ; cette position devient de plus en plus difficile à tenir.

De ce fait, un réassureur comme Munich Re indique que le coût de l’assurance pourrait devenir un véritable problème social si l’on poursuit le schéma actuel qui consiste à récolter des primes de plus en plus élevées pour couvrir les sinistres.

Une nationalisation de l’assurance habitation ?

En réponse à cela, un scénario conçu par l’étude de sinonvirule serait une nationalisation de l’assurance habitation, qui deviendrait alors un nouveau régime de protection sociale, à l’image de la santé, des retraites et du chômage. Dans le scénario prospectif imaginé, un COntrat de Protection Publique contre l’Anthropocène et Interférences de la Nature (COPPAIN) permettrait à chacun de disposer d’une assurance habitation garantissant une protection contre les aléas naturels, dans la limite d’un panier de base de biens ou de patrimoine. Le schéma serait complété par les assurances privées classiques. Ce serait l’occasion pour l’Etat de renouveler un contrat social avec les citoyens.

Les nouveaux schémas assurantiels dans un monde effondré

D’autres scénarios de l’étude se projettent dans un monde « effondré », où la structure sociale aura certes changé, mais la notion de risque existera toujours. Pour s’en protéger, certaines communautés pourraient se tourner vers des « notables locaux » les prenant sous leur aile. D’autres systèmes de protection pourraient reposer sur des schémas comme ceux des Greniers de l’Abondance, où les communautés s’assurent collectivement. Encore d’autres personnes pourraient décider de « vivre avec » ce nouveau monde, avec des habitats légers déplaçables au gré des aléas plus ou moins violents, avec des modes de vie plus ou moins nomades. La solidarité pourrait ainsi se réancrer dans des périmètres territoriaux plus restreints à travers des communautés de destin, ce qui tranche avec les schémas internationalisés actuels.

De nouvelles perspectives pour la stratégie et le rôle des assureurs

En réaction à cette étude, les assureurs se sont réinterrogés sur leur rôle. Au-delà de ce que décrivent les scénarios, il ressort la nécessité d’inventer de nouveaux régimes de protection, sans quoi ils risquent de voir certains de leurs marchés s’éroder voire disparaitre. Nouvel exemple : les assureurs pourraient s’impliquer dans l’accompagnement des territoires dans le retrait progressif des zones littorales qui seront de plus en plus submergées. Après tout, les assureurs sont parmi les premiers intéressés à l’idée d’éviter de payer des dédommagements. Un tel rôle n’est pas évident à concevoir à ce stade car cela impliquerait une transformation profonde des assureurs en termes de métier, de savoir-faire, et de raison d’être.

Les acteurs peuvent aussi s’interroger sur des régimes assurantiels non-financiers, avec par exemple la mise à disposition de main d’œuvre, de savoir-faire, de coordination des efforts locaux pour la reconstruction après les sinistres.

Dans le même ordre d’idée, le COPPAIN peut donner des idées de collaboration entre la puissance publique et les assureurs mutualistes, qui ont intérêt à s’allier autour de nouveaux schémas.

Nous espérons que cet échange vous aura intéressé(e). Si tel est le cas, n’hésitez pas à partager avec vos collègues et vos amis.

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