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Production de panneaux photovoltaïques : la France bientôt souveraine ?!

Si ce projet sort effectivement de terre (c'est tout le mal que je souhaite à ses courageux initiateurs), alors ce serait un des développements les plus importants de l'histoire énergétique de la France depuis 30-40 ans. Pourtant, la nouvelle semble accueillie dans une certaine indifférence. On parle quand même de la perspective que la France devienne le fer de lance d'une réindustrialisation de grande ampleur du photovoltaïque en Europe. Qui l'eut crû ?

L'enjeu de souveraineté est majeur : la France et l'Europe ne peuvent pas raisonnablement se rendre totalement dépendants des équipements de production d'énergie renouvelables comme ils l'ont été pour les énergies fossiles. Certes, une fois les panneaux importés et installés sur notre sol, nul ne peut nous couper le rayonnement solaire (sauf à provoquer une éclipse par ingénierie lunaire... mais cela ne semble pas être à l'ordre du jour). Il n'en demeure pas moins que nos besoins d'accumulation de capacité photovoltaïque sur les prochaines décennies seront importants.

Je me suis récemment entretenu avec des dirigeants de la société CARBON pour tenter de mieux comprendre ce projet assez incroyable où une petite entreprise est en train de lever 1,5 milliards d'euros pour créer dès 2026 une gigafactory de panneaux solaires à Fos-sur-Mer qui embaucherait plus de 3000 personnes. Je retiens de cet entretien les informations suivantes que je peux communiquer, et que vous ne trouverez pas forcément dans la presse.

1) Les chiffres sont assez vertigineux. Pour être compétitif face à la Chine (qui actuellement a quasiment un monopole mondial) il faut tout de suite "faire gros", d'où le besoin d'une gigafactory. Dès 2026 la gigafactory produirait chaque année 5 GW de cellules photovoltaïques et 3,5 GW de modules. Les 1,5 GW restants de cellules qui ne seront pas consommés sur site fourniront des assembleurs français et européens (l'idée n'est pas de construire un monopole CARBON).

Pour donner un ordre d'idée, 5 GW par an signifie qu'en 25 ans, ce site produirait l'équivalent des capacités solaires photovoltaïques nécessaires en 2050 dans les scénarios N1 et M23 de RTE. Autrement dit, d'ici 2050 cette usine délivrerait, à elle seule, l'équivalent du besoin photovoltaïque français dans un scénario médian.

Pour donner un autre ordre d'idée, le besoin en UE est estimé à 100GW en 2030, et l'objectif de la commission est que 40% de ce besoin soit "Made in Europe", soit 40GW. D'ici 2030, CARBON ambitionne de construire d'autres gigafactories et d'atteindre une production de 20GW/an. En d'autres termes, CARBON fournirait la moitié du besoin européen "Made in Europe".

2) Une grande question qui se pose est bien sûr la compétitivité face à la Chine. Il faut absolument comprendre que le monopole chinois actuel ne s'explique pas du tout par un faible coût de la main d'œuvre (qui augmente et se rapproche des niveaux d'Europe de l'est) mais par :

  • Une intégration verticale de la chaine de fabrication (ce qui serait également le cas de CARBON, et l'Europe dispose encore du savoir-faire et des ingénieurs nécessaires)
  • La maitrise des intrants, notamment le polysilicium
  • Des mesures protectionnistes et distorsions de marché (ex. accès au foncier et énergie à bas coût voire gratuit, polysilicium à très bas coût)

Face à cela, les dirigeants de Carbon, les partenaires industriels, les investisseurs et l'Etat ont jugé qu'il n'y avait pas de fatalité.

3) La France et l'Europe prévoient apparemment de sortir de la naïveté de la concurrence soi-disant libre et non-faussée (qu'aucune autre puissance économique ne pratique réellement) par des mesures anti-dumping et/ou de protection de notre industrie, par exemple :

  • Directive économie circulaire
  • Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières
  • Net-Zero Industry Act (ex. limitation de la dépendance européenne pour les technologies stratégiques de décarbonation, avec par exemple un minimum de 40% de "Made in Europe")
  • Critical Raw Materials Act, qui va favoriser l'établissement de projets miniers et d'usines de raffinage sur le sol européen
  • Relèvement des plafonds d'aide d'Etat sur les investissements dans les gigafactories

4) Pour sécuriser son accès à une énergie bon marché, Carbon prévoit une part d'autoconsommation (solarisation de son propre site), ainsi que des contrats de fourniture long terme d'énergie bas-carbone, entre autres dispositifs.

5) Le site de Fos-Sur-Mer a été choisi parmi 15 sites potentiels. Les raisons de ce choix sont les avantages logistiques (ex. port de Marseille), un bassin d'emploi capable d'absorber rapidement 3000 nouveaux postes, la présence locale de structures de formations idoines (ex. lycées professionnels), et l'alignement des acteurs politiques et économiques locaux.

6) La France n'est bien sûr pas le seul pays européen à songer à une telle relance. Les Allemands y pensent également, certaines sociétés en sont au stade de l'étude d'opportunité. Cependant les intérêts au sein du tissu industriel allemand peuvent diverger (ex. certains préfèrent continuer d'acheter les panneaux chinois, même si la différence de coût devait significativement se réduire). Mais à suivre quand même...

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