Factures énergétiques et crise du logement : un acteur du logement social témoigne

Je restitue ici un échange avec un bailleur social, particulièrement intéressé par la question énergétique, et plutôt critique envers la politique du gouvernement en matière de logement et d'énergie. Cette personne tire la sonnette d'alarme sur la crise énergétique, la fin du bouclier tarifaire, le rythme insuffisant de rénovation thermique des bâtiments, notre logique même de rénovation... tout cela risquant d'aggraver la crise du logement.

"Les investissements de notre structure ont fortement diminué dans le secteur du logement neuf et se sont maintenus dans le domaine de la réhabilitation énergétique. Notre stratégie est résolument tournée vers l’urgence sociale que représente le coût croissant de l’énergie

Nous sommes propriétaires d'un parc de dizaines de milliers logements, en « troisième couronne » d'une grande métropole, dans un territoire rural fortement influencé par l'activité de la métropole. Nous avons connu une période particulièrement prospère entre 2013 et 2017, notamment grâce aux investissements de l'Agence Nationale de la Rénovation Urbaine (ANRU), à la fois dans la construction de logements neufs et dans la réhabilitation.

Cependant, notre activité a diminué depuis. La construction de logements neufs a été divisée par 2. Cela s'explique en grande partie par la Réduction de Loyer de Solidarité (RLS) en 2018 en réponse à la baisse des Aides Personnalisées au Logement (APL). Plus récemment est venu se rajouter la hausse récente du taux du Livret A (sur lequel nous nous finançons) et l'augmentation des coûts de construction (main-d'œuvre, matériaux). Cela met nos finances fortement sous tension.

La rareté des terrains constitue également un facteur qui a contribué à la baisse de la construction neuve. Les terrains sont rares en métropole, donc de nombreux constructeurs se tournent vers notre territoire en périphérie, ce qui entraîne une augmentation du prix des terrains. Cette rareté est en partie accentuée par la loi Zéro Artificialisation Nette et par la réticence des élus à envisager de nouvelles formes d'urbanisme qui permettraient de densifier le bâti.

Inversement, la réhabilitation énergétique demeure une composante essentielle de notre activité, sur laquelle nous parvenons à maintenir nos niveaux d'investissements. Nous sommes profondément convaincus de l'urgence sociale engendrée par l'augmentation continue du coût de l'énergie, notamment avec la disparition prévue des boucliers tarifaires. Nous sommes déterminés à accélérer la rénovation de nos logements les plus énergivores.

Le programme ANRU entraîne également un nombre significatif de démolitions. Or selon nous la démolition constitue un contresens écologique ; idéalement, ces logements devraient être réhabilités. Cependant, les élus manquent de sensibilisation à ce sujet et privilégient souvent la démolition plutôt que la réhabilitation.

La performance énergétique, telle que mesurée par les factures d’énergie des locataires, est pour nous un facteur clé de décision.

Nos locataires font face à une forte précarité due à l'inflation et à des revenus qui peinent à suivre le rythme. L'augmentation des charges devrait s'accentuer avec la fin du bouclier tarifaire, avec une hausse significative des factures énergétiques (+30-50%). Dans cette optique, nous accordons peu de crédit aux étiquettes énergétiques (A, B, C, D, E, F, G), qui ne reflètent pas véritablement la pression économique subie par les locataires, et seraient de toute façon inexactes dans 30% des cas. Selon nous, la Loi Climat-Résilience aborde trop peu l'aspect social de la question énergétique. En effet, des logements classés en catégorie D ou E sur le plan énergétique peuvent générer des factures plus élevées que des logements classés en catégorie F. Par conséquent, nous évaluons la performance énergétique des logements en nous basant sur les factures réelles des locataires.

La loi Climat-Résilience, en ce qui concerne les étiquettes énergétiques, semble mal adaptée à la réalité du terrain. Nous disposons de peu de logements classés en catégories F et G au sein de notre parc, mais comptons environ 20% de logements classés en catégorie E. Ces logements doivent être rénovés d'ici 2030 suite au paquet européen Fit For 55. Cependant, ces objectifs risquent de ne pas être atteints tant que l'État ne finance pas des transformations d'une telle envergure et tant qu'il n'existe pas un réseau d'entreprises en mesure de réaliser autant de rénovations.

Par ailleurs, les réglementations ont tendance à mettre l'accent sur les réhabilitations massives, alors qu'il serait plus efficace, selon nous, de procéder étape par étape en effectuant des rénovations initiales pour atteindre les catégories C/D (remplacement des fenêtres, isolation extérieure, ventilation mécanique contrôlée, etc.), puis d'intervenir ultérieurement pour amener les logements à la catégorie B.

Pour équilibrer nos opérations, nous avons de plus en plus recours à la construction de logement intermédiaires (destinés aux classes "moyennes"), au détriment du logement social ou très social... ce qui ne répond pas forcément à la demande de nos populations de plus en plus précaires.

La réalisation des opérations de logement est devenue très délicate, car une part importante des logements est destinée au logement intermédiaire, bien que le marché ne s'y prête pas tout à fait. Pour que le logement intermédiaire trouve sa place, il faudrait que les loyers dans le secteur privé soient relativement élevés, ce qui amènerait les locataires du privé à ne plus pouvoir suivre la demande et à se tourner vers les bailleurs sociaux. Ces cas sont de plus en plus fréquents.

Il y a 5 ans, notre Département comptait seulement quelques dizaines de fonctionnaires parmi les 20 000 demandeurs de logements inscrits au Système National d'Enregistrement. Aujourd'hui, ils sont plus de 1500 ! Nous voyons de nouvelles populations arriver. Par exemple des infirmières et des enseignants rencontrent désormais de grandes difficultés à trouver un logement sur le marché privé et se tournent vers le logement social. De manière plus générale, le nombre de demandes de logements sociaux a considérablement augmenté.

Nous déplorons ce que nous considérons comme un « contresens historique majeur » de la part du gouvernement, avec une demande croissante de logements sociaux et une offre qui se réduit. Les perspectives des 5-10 prochaines années apparaissent globalement moroses.

Avec les facteurs mentionnés précédemment, nous prévoyons une aggravation de la crise du logement au cours des 5 à 10 prochaines années, avec une offre de logements abordables nettement inférieure à la demande. Même en cas d'un revirement significatif de la politique du logement, avec des financements publics importants, il faudrait compter environ 5 ans pour que les effets se fassent réellement ressentir, en raison de l'inertie du système.

Cette situation de crispation est à la fois reflétée et amplifiée par la baisse significative du taux de rotation de nos locataires. Il y a 5 ans, notre taux de rotation était de 10%, de nombreux locataires quittaient les logements sociaux pour se tourner vers le marché privé ou devenir propriétaires. Ce taux est maintenant de 6%, ce qui réduit significativement le nombre de logements que nous pouvons mettre sur le marché."

Fin de citation.

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